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La violence scolaire

par Hennouni Ali

La violence scolaire n'est pas un phénomène nouveau, de nos jours les phénomènes de violence sont devenus des faits de société par leur médiatisation mais aussi parce que l'institution n'est plus dans l'autocensure. A présent, les enseignants osent parler de leurs difficultés, en témoignent les enquêtes, recherches universitaires, recensements...

Il n'est pas étonnant que la violence concerne l'institution scolaire dans la mesure où la rencontre entre individus, dans un espace clos, se traduit assez fréquemment par l'expression d'antagonismes. A l'école, l'obligation scolaire, le fonctionnement du système, les enjeux scolaires et sociaux du rapport au savoir, rendent encore plus délicate la cohabitation entre individus en mettant en scène les divergences de pensées, les modes de vie, la culture de chacun. Il est cependant difficile de donner une définition consensuelle de la violence scolaire car sous le terme de violence se cachent de nombreux sens qui varient selon les époques, le milieu social, les normes, la perception qu'en ont les individus et leur seuil de tolérance: «la violence est appréhendée en fonction de valeurs qui constituent le sacré du groupe de référence» (Y. MICHAUD. 1986).

CHESNAIS (1981) en donne une définition restrictive: «La violence au sens strict, la seule violence mesurable et incontestable, est la violence physique. C'est l'atteinte directe, corporelle, contre les personnes; elle revêt un triple caractère: brutal, extérieur et douloureux. Ce qui la définit, c'est l'usage matériel de la force, la rudesse volontairement commise aux dépens de quelqu'un.»

Pour d'autres, la notion recouvre une réalité plus large et s'étend même jusqu'aux formes symboliques de la violence. Ainsi, le terme de violence recouvre aussi bien des conduites réellement violente (vols, agressions, injures, menaces...) que des sentiments diffus de danger potentiel, d'insécurité. On peut dire alors que la violence est une catégorie générale désignant un ensemble de phénomènes hétérogènes, les conduites violentes proprement dites ne seraient qu'un sous-ensemble de phénomènes plus ou moins graves, physiques ou verbaux, concernant les biens ou les personnes. Pour E. Prairat, il n'y aurait pas de violence «scolaire» mais une violence tout court: «un racket, qu'il ait lieu dans les couloirs d'un établissement scolaire ou devant cet établissement, reste un délit qui est répréhensible et punissable au regard du code pénal: il y a des violences à l'école et hors de l'école».

Ce qui fait la spécificité des perturbations scolaires, ce ne sont pas tant les actes mais les atteintes à la forme scolaire, formalisée par le règlement intérieur et aux rites et coutumes scolaires, qui en désorganise le fonctionnement. De plus, les phénomènes de violence reposent à la fois sur un caractère normatif et subjectif; normatif lorsqu'ils bousculent l'ordre établi dans un environnement, un milieu donné et subjectif car les mêmes évènements ont une intensité différente selon les personnes et le milieu social. Ainsi, une définition des perturbations scolaires réduite au pénal (actes délictueux) ne peut rendre compte de la complexité de ce phénomène.

Trois positions tentent de théoriser ce phénomène:

1- une position extrême (HOBB, MAX WEBER): l'homme est un loup pour l'homme, il est naturellement violent. Pour canaliser cette violence inhérente à la nature humaine, l'état doit être le seul détenteur de cette démarche.

2- une position assez proche de la précédente, mais plus nuancée: à l'état naturel, l'homme est forcément violent, égoïste et les actes de violence seraient dus à un défaut de socialisation et d'éducation. La morale et la religion, en imposant l'image du bien, peuvent la réduite

3-A contrario, à l'état de nature, l'homme est bon et la méchanceté résulte de la perversion, de la vie sociale (Rousseau).

Les manifestations de la violence à l'école:

La violence scolaire n'est pas l'apanage de familles pauvres ou précaires comme on à tendance à le croire, bien qu'elle y soit plus forte et plus fréquente, les faits les plus graves se déroulant le plus souvent dans les établissements sensibles. Cependant, tous les établissements peuvent être concernés. Il est difficile de comparer les déclarations de violence de la part des élèves ou des enseignants dans la mesure où les mêmes faits ne sont pas ressentis de la même façon selon le milieu social. «L'ensemble des résultats semble montrer dans toutes dimensions de la violence, que l'inégalité sociale est corrélée à l'inégalité devant la violence en milieu scolaire.    Ces corrélations ne sont pas pour autant à être interprétées comme «handicap socio-violent» lié aux individus qui composent l'établissement, mais à une difficulté des établissements à intégrer les catégories sociales les plus défavorisées en assurant des interactions sans heurt. Dans une perspective macro-sociale, elles montrent plutôt la connivence de l'école avec les classes favorisées ou très favorisées de la société.

Si les phénomènes de violence sont plus nombreux et plus graves au collège, cependant l'école primaire n'est pas épargnée et on constate que les élèves au comportement agressif sont de plus en plus jeunes (violence, vandalisme, agression...).



Quels sont les faits les plus souvent qualifiés de violents?



Il est nécessaire de hiérarchiser les phénomènes de violence, de faire la distinction entre les crimes et délits relevant du pénal et le «sentiment d'insécurité» qui, bien que subjectif, ne relève pas nécessairement du fantasme (la petite délinquance et les dégradations sont effectivement en augmentation). Les actes ressentis comme violents (petites violences au quotidien, incivilités, indiscipline, humiliations,... etc) perturbent la vie des établissements et deviennent intolérables pour ceux les subissent.

Pour lutter contre la violence en milieu scolaire; il faudrait au préalable, renforcer le partenariat avec l'école (parents d'élèves, autorités locales, élèves...) et commencer par un classement assorti, pour chacune des catégories, de conseils sur les conduites à tenir et les qualifications pénales qui s'y rapportent (amendes,...).

Dégradation / vols / menaces (d'atteinte aux biens et aux personnes / violences verbales/ insultes, injures / port d'armes / violence physique / racket / usage de stupéfiants...

Certains de ces délits concernent les violences subies par le personnel de l'établissement de la part d'autres élèves ou de la part du personnel.

On peut cependant en faire un inventaire selon le classement suivant:

-Les délits graves et la petite délinquance: crimes délits, les viols, les trafics, les rackets, vols, menaces, injures, dégradations, bagarres et coups, harcèlement.

-Les incivilités sont considérées comme actes de violence selon le degré de sensibilité des personnes: non respect des codes sociaux et scolaires, transgressions, impolitesses, sexisme,... etc. Les incivilités les plus anodines qui transgressent les codes élémentaires de la vie en société, le code des bonnes manières, apparaissent souvent comme des menaces contre l'ordre établi. Elles peuvent être de l'ordre du bruit, de la saleté, de l'impolitesse, de tout ce qui cause désordre.

- L'indiscipline n'est pas à classer parmi les actes violents, mais la répétition de ces actes, leur caractère volontiers provocateur les fait glisser par certains, dans la rubrique des violences: absentéisme, retards ostentatoires, désintérêt scolaire, bavardages, jets de projectiles, plaisanteries déplacées, chahuts dans la cour ou les couloirs.

-Le sentiment d'insécurité lié à des perturbations ou à du désordre ou à des conduites jugées comme potentiellement dangereuses.

Les actes de violence peuvent également se catégoriser en fonction des personnes concernées: élève envers élève / élève envers adulte / adulte envers élève.

Dans cet inventaire, on ne peut faire l'impasse sur le cas des phénomènes de déviance tolérée, moments au cours desquels certains interdits peuvent être transgressés, ils sont alors l'objet d'une connivence sociale: fêtes, anniversaires, carnavals, charivari,... ce qui conduit à distinguer les chahuts de défoulement des véritables violences. On note cependant à présent, l'apparition d'une forme de chahut en rupture avec l'ordre, le chahut «anomique», qui se produit n'importe quand, n'importe où, qui ne relève pas de cette conception ritualisée mais se présente comme un moyen visant à désacraliser les normes. Quoi qu'il en soit, quand une conduite est désignée comme violente ou potentiellement violente, elle est immédiatement comprise comme une conduite dangereuse, engageant à la fois la survie et la défense de la société, bien que chaque individu parle de violence pour désigner les conduites extrêmement différentes.

Les causes de la violence en milieu scolaire:

La violence découle d'un phénomène d'agressivité dont la source réside dans les émotions.

C'est un langage sans mots, une forme d'expression symbolique. Tout mal-être produit une forme de violence, violence contre soi-même et c'est le suicide, violence contre les autres et c'est la déviance.

Le discours dominant, consiste à rejeter les causes de la violence dans la société, cette violence serait importée à l'école. Il existe cependant des actes de violence propres à l'école, généré par le personnel éducatif lui-même.

On peut catégoriser les causes de la violence selon 02 dimensions:

1- Les causes externes à l'école:

- Evolution du tissu social (chômage, précarité, avenir incertain).

- Coupures entre les classes sociales, ethniques et économiques.

- Valeurs traditionnelles en recul (recul de l'autorité parentale, montée de l'individualisme, perte du sacré, déritualisation!

- Système de valeurs différent selon les groupes sociaux et les cultures (poids de l'autorité paternelle différent dans certains milieux, d'où une certaine contradiction vécue par les enfants).

- Ecart entre les valeurs de la société et les valeurs de l'école.

- Perte de repères.

- Les familles ne peuvent plus assurer le suivi éducatif.

Pour certains, la source des phénomènes de violence serait dans le fonctionnement d'une société libérale et le développement de la démagogie.

D'autres refusent de faire le lien entre les problèmes socio-économiques et les manifestations de violence, qui seraient alors plutôt les signes d'un refus du système scolaire, des études, de la discipline, au profit d'un mode de vie plus «facile», moins contraignant, aux profits immédiats (économie «souterraine», vols, rackets,...), de décalage entre la société de consommation permissive et les contraintes qu'impose l'école et difficiles à vivre.

2- Des causes internes au système scolaire:

- Augmentation du nombre d'élèves.

- Ecole plus ouverte qu'autres fois, ce n'est plus au sanctuaire.

- Perte d'autorité due à un certain libéralisme éducatif.

- Instabilité des équipes enseignantes.

- L'école fait l'objet de surenchère (soutien, écoles privées, injonction de réussite scolaire).

- Dialogue pédagogique difficile.

- De plus, les enfants subissent également un stress dû au mode de vie moderne, au rythme imposé en décalage avec leur rythme naturel aux nombres d'heures passées à l'école, où l'immobilité est souvent exigée (ceci en contradiction avec les besoins naturels de l'enfant) aux activités parascolaires en inflation (soutien scolaire et activités encadrées), à la pression sociale et scolaire vis à vis des apprentissages. La hantise de l'échec scolaire conduit les parents et l'école à une surenchère au niveau des apprentissages.

- La centration sur les apprentissages dits fondamentaux conduit parfois à des dérives nocives pour le développement psychologique des enfants.

- Les phénomènes de violence, d'incivilité, sont réprimés car ils transgressent les règles, la loi. A l'école, l'enfant découvre des règles de vie différentes de celles de la maison. Les normes ne sont plus tout à fait les mêmes. Tout en respectant les normes sociales, il devra donc découvrir et s'approprier les normes scolaires pour devenir élève et se socialiser.

Selon Prairat, les règles ont un effet cadrant. Elles énoncent les limites, les obligations et les droits des élèves. Elles ont aussi un effet structurant car elles sont éducatives et font appel à des valeurs. Je terminerai en soulignant cette belle phrase prise au hasard de mes lectures:

«C'est en acceptant ce que nous sommes, que nous serons à l'aise dans le malaise universel qui se profite menaçant et inéluctable».



P.S: le secteur de l'éducation vient de bénéficier de 420 postes budgétaires dans le cadre du D.A.I.P. (auxiliaires scolaires et éducateurs chargés d'assurer la sécurité des élèves contre la violence en milieu scolaire).