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Obama et les multinationales

par Akram Belkaïd, Paris

De nombreux candidats à la présidence l’avaient annoncé durant leur campagne, mais y avaient finalement renoncé une fois élus. Barack Obama semble, quant à lui, décidé à tenir à ce qui a été l’une de ses promesses électorales majeures : il entend en effet modifier le code fiscal, de manière à favoriser les entreprises qui créent des emplois aux Etats-Unis et à pénaliser celles qui sont installées à l’étranger. L’affaire, on le devine, est tout sauf symbolique tant elle touche au coeur même de la machine économique américaine.

 

Les multinationales dans le collimateur

 

A la base de la réforme voulue par l’hôte de la Maison-Blanche, il y a une réalité qui est rarement évoquée dès lors qu’il s’agit de décrire le monde tentaculaire des multinationales étasuniennes. En réalité, ces dernières n’ont désormais rien ou presque d’américain. Souvent, elles emploient plus de monde à l’étranger que sur le sol des Etats-Unis et leurs principaux dirigeants viennent des quatre coins de la planète. Quant à leur contribution au Produit intérieur brut (PIB), elle ne pèse guère face aux dépenses du consommateur américain ou aux investissements réalisés par les autorités fédérales ou locales. Plus important encore, ces multinationales ne paient guère d’impôts aux Etats-Unis. En créant des filiales dans des paradis fiscaux ou des pays à faibles impôts, ces sociétés sans frontières ont développé tout un savoir-faire en matière d’évasion fiscale légale.

Ainsi, il n’est pas rare de voir des entreprises être déficitaires aux Etats-Unis, alors qu’elles engrangent les bénéfices à l’étranger. Tirant profit des textes internationaux qui interdisent la double-imposition, les multinationales américaines ont compris l’intérêt qu’elles avaient à localiser et donc à maximiser les bénéfices dans les filiales étrangères, surtout celles installées dans les paradis fiscaux. On voit, par exemple, des filiales installées aux Etats-Unis être obligées de payer d’importantes redevances ou royalties à une filiale située dans les îles Caïman. De cette manière, le cash passe d’un pays à l’autre sans que l’administration fiscale, comme par hasard très démunie sur le plan des ressources humaines, trouve à y redire.

Du coup, en analysant la répartition des filiales d’une multinationale américaine, on a beaucoup de chance de découvrir que celles-ci commercent et échangent beaucoup entre elles, que les moins rentables sont situées dans les pays à forte fiscalité et que, à l’inverse, celles qui paient moins d’impôts sont celles qui reçoivent les plus de flux financiers entrants. On comprend alors, comment le taux d’imposition réel des multinationales américaines est inférieur à 5 % aux Etats-Unis, alors qu’il est officiellement de 35 % dans les textes.


 
Un pari loin d’être gagné

 

La réforme d’Obama vise donc à taxer plus les multinationales ainsi que les particuliers qui possèdent des avoirs à l’étranger. « Il y a un immeuble qui abrite plus de 12.000 entreprises aux îles Caïman : soit c’est le plus grand immeuble du monde, soit il s’agit de la plus grande évasion fiscale au monde », a déclaré le président américain lundi soir. Il lui reste maintenant à convaincre le Congrès. Et son projet a beau être populaire en ces temps de crise, la partie est loin d’être gagnée. Déjà, les lobbyistes fourbissent leurs armes tandis que les éditorialistes du Wall Street Journal frémissent d’indignation. On voit mal les multinationales accepter de renoncer aux avantages que leur procure l’existence de paradis fiscaux. Mais, en cas de succès dans ce dossier, le président américain pourra alors prétendre s’être inscrit dans la veine de Franklin D. Roosevelt.