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Ne pas céder le terrain

par Navi Pillay *

La conférence d’examen de Durban organisée par l’ONU et portant sur la lutte contre le racisme s’est tenue, la semaine dernière, à Genève et la terre n’en a pas pour autant cessé de tourner, contrairement à ce que les détracteurs de cette réunion voulaient nous faire croire. De fait, notre planète se porte peut-être mieux maintenant que cette conférence a adopté par consensus un document fondé sur l’engagement qui avait été pris il y a huit ans, à Durban, de lutter contre la discrimination raciale et l’intolérance partout dans le monde. Malgré des décennies de mobilisation et en dépit des efforts déployés par de nombreux groupes et de nombreuses nations et des preuves innombrables qui témoignent des effets ravageurs du racisme, ce dernier perdure. Aucune communauté aussi bien large que réduite, riche que pauvre, n’est à l’abri de ce fléau. La Conférence de Genève a permis aux pays de se rassembler et de convenir d’un document commun consacrant une aspiration commune, à savoir la volonté de combattre le racisme sous toutes ses manifestations et d’œuvrer à son élimination définitive. Cependant, il y a maintenant plus d’un an, et avant même qu’une simple phrase ait été couchée sur papier, plusieurs voix se sont élevées pour appeler au boycott de la conférence d’examen. Cette opposition était motivée en grande partie par la crainte que la réunion de Genève n’entraîne une répétition des activités d’un antisémitisme virulent de certaines organisations non gouvernementales opérant en marge de la Conférence mondiale de 2001 tenue à Durban. Les agissements odieux d’une minorité ont terni la réputation de l’ensemble du processus enclenché à Durban en 2001 et qui s’est poursuivi jusqu’à la Conférence de Genève en 2009. Dix États Membres de l’ONU, dont le Canada, Israël, les États-Unis d’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et cinq des 27 États de l’Union européenne, ont décidé de se tenir à l’écart de la réunion de Genève que l’Assemblée générale des Nations Unies avait prié d’examiner la mise en œuvre du document final de la Conférence de 2001, à savoir la Déclaration et le Programme d’action de Durban. Alors que l’absence des pays susmentionnés devenait inéluctable, le premier jour de la conférence, le Président iranien, M. Mahmoud Ahmadinejad, a prononcé un discours dans lequel il attaquait Israël, les États-Unis d’Amérique et d’autres États occidentaux, se servant effectivement de la réunion de l’ONU à des fins de rhétorique politique partisane. Néanmoins, cette position de nature à semer la discorde a été rejetée sans équivoque le lendemain lorsqu’a été adopté par consensus un document qui constitue le dernier mot de la conférence. Les États Membres ont fait montre de détermination, d’un esprit de compromis et d’un respect de la diversité, pour œuvrer d’un commun accord en faveur d’une cause commune d’une très haute importance. Cet accord aura, espérons-le, des effets bénéfiques durables sur les innombrables victimes du racisme, de la discrimination et de l’intolérance à travers le monde. Dans ce document, les États se sont engagés à prévenir les manifestations de racisme, de discrimination et de xénophobie, particulièrement à l’égard des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ils ont également convenu de promouvoir les possibilités offertes aux personnes d’ascendance africaine ou asiatique, aux peuples et aux personnes appartenant à des minorités nationales, ethniques, religieuses ou linguistiques, ainsi que leur participation. Ils se sont engagés à s’assurer que la discrimination n’entrave pas, de façon déguisée ou non, l’accès à l’emploi, aux services sociaux et aux soins de santé et la participation aux divers domaines d’activité. De nombreuses autres formes de discrimination seront abordées. Le document réaffirme l’importance fondamentale de la liberté d’expression et souligne sa compatibilité avec la législation internationale en vigueur, qui proscrit l’incitation à la haine. Il devrait ainsi être possible de combler la division artificielle que suscitent des questions religieuses délicates qui pourraient entretenir la prévision autoproductrice du choc des civilisations. D’autre part, l’adoption du document final marque une reconnaissance importante des injustices et des atrocités du passé et propose des moyens qui devraient permettre d’en prévenir la répétition. Ainsi, les États s’engagent à proscrire les activités violentes, racistes et xénophobes des groupes qui adhèrent à des idéologies de suprématie. La conférence d’examen de Durban a fourni le cadre d’un nouveau départ. Les quelques États qui ont choisi de se tenir à l’écart devraient à présent étudier le document final selon ses mérites propres. Parmi ces États, certains ont participé à l’élaboration du document et se sont inscrits dans le consensus naissant jusqu’à la veille même de la conférence. Je me permets donc d’espérer qu’ils s’associeront à la lutte engagée à l’échelle internationale contre le racisme et l’intolérance, telle qu’explicitée dans cet important document. Nous ne devrions pas céder le terrain à ceux qui veulent relancer une controverse susceptible d’alimenter l’intolérance. Il importe donc tout particulièrement que nous- hommes et femmes de bonne volonté, États, organisations internationales et société civile-ne nous laissions pas distraire de l’objectif principal-instaurer des sociétés libres de toute discrimination et un monde où règnent l’égalité de traitement et l’égalité des chances pour tous ou, à tout le moins, pour nos enfants et les enfants de nos enfants.
 


* Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme