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La médiation en tant que mode alternatif de règlement des litiges

par Ahmed Aoued*


1ère partie

Le Livre V du Nouveau Code de Procédure Civile et Administrative (NCPCA) qui traite de la question des modes alternatifs de règlements des litiges (MARL), constitue une évolution significative dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire algérien et propulse l’Algérie dans une dynamique nouvelle dans la gestion et le règlement des conflits, à l’instar de ce qui passe dans d’autres pays et notamment aux Etats-Unis et en Europe. A travers le NCPCA, le législateur algérien donne aux parties à un litige trois possibilités extra judiciaires pour régler leurs différents: La conciliation, l’arbitrage et la médiation. Si les deux premiers étaient déjà connus par le législateur et les pratiquants du droit, il n’en est pas de même pour la médiation qui reste la nouveauté par excellence dans le paysage législatif et judiciaire algérien. Avant d’aborder le thème de notre exposé qui est la médiation, nous proposons, à titre comparatif et pour des raisons de clarté, le tableau ci-dessous pour souligner les différences qui existent entre la médiation, la conciliation et l’arbitrage. Nous rappelons toutefois, que cette distinction n’est pas rigide et des passerelles peuvent bien être établies entre ces modes. Ainsi, pour un même litige on peut passer d’une conciliation à une médiation, ou d’une médiation à un arbitrage, et vice versa, comme on peut combiner deux modes simultanément ou successivement. L’objectif essentiel pour les parties étant de trouver une solution à leur litige en dehors des tribunaux.

Dans une première partie allons essayer de comprendre la médiation, ses origines, et ses développements, avant de présenter ses avantages et ses inconvénients. Dans une deuxième partie nous nous allons essayer de faire une lecture du NCPA et voir dans quelle mesure, les nouvelles dispositions du NCPCA vont contribuer à une nouvelle forme de gestion des conflits en Algérie.

Notre modeste intention en tant que médiateur est d’apporter notre contribution au débat national qui vient de s’amorcer en Algérie sur la mise en œuvre d’un système de médiation fiable et crédible qui viendrait alléger les tribunaux algériens et offrir aux justiciables d’autres voies que les tribunaux étatiques pour régler leurs différents.


 
Bref historique de la médiation

 

La médiation comme mode de régulation sociale, existe depuis la nuit des temps, dans les différentes sociétés et à différentes époques. Il n’y a pas de société qui n’a pas inventé et développé ses propres mécanismes de règlements des conflits en dehors du formalisme rigide de la justice officielle. En Algérie, la meilleure forme de médiation est l’institution de l’Imam ou du Cheikh auquel on fait appel pour trancher dans un certain nombre de conflits et éviter ainsi aux parties la « honte » de porter leur litige devant le prétoire. Cette forme traditionnelle de médiation est encore présente dans les campagnes algériennes mais de moins en moins dans les centres urbains ou elle a tendance à s’effriter en raison de divers facteurs.

Dans sa conception moderne, la médiation trouve ses origines dans le sillage des mouvements associatifs américains dans les années 70, lesquels, au nom de la démocratie, ont développé le concept de l’autonomie et de la responsabilité des individus et de la collectivité à trouver elles-mêmes les solutions à leurs différents sans nécessairement passer par les tribunaux. L’idée a regagné le Canada avant de se propager dans le continent européen dans les années 80 en commençant par l’Angleterre, puis la France pour se répandre par la suite à tous les autres pays de l’Europe.       Devant l’ampleur de la généralisation de la médiation, le Parlement européen à adopté la Directive (SEC(2004) 1314) du 22 octobre 2004 visant à harmoniser la pratique de la médiation civile et commerciale. Cette Directive qui est entrée en vigueur le 25 mai 2008 marque le début d’une évolution des mentalités et des comportements des citoyens qui ne veulent plus que ce soit la justice qui leur impose des solutions à des conflits qui les concernent en premier lieu. Dans les pays arabes, la médiation dans sa conception moderne a fait une timide apparition en Jordanie (2004) puis au Maroc (2007) et tout récemment en Algérie (2008).

Tous ces pays disposent aujourd’hui d’une législation nationale en matière de médiation votée par leurs parlements respectifs, mais qui nécessite une sérieuse prise en charge au niveau de la mise en application.


 
Qu’est-ce que la médiation ?

 

Il existe plusieurs définitions de la médiation. Cette pluralité de définitions s’explique par la nouveauté de ce mode de règlement et son utilisation «anarchique» aussi bien par le mouvement associatif que les pouvoirs publics. Pour éviter toute polémique ou autre débat académique, nous proposons, pour des raisons de convenance et de clarté, la définition adoptée par l’Union européenne dans sa Directive sus citée et qui définit la médiation comme suit :

Le terme médiation désigne toute procédure, quelle que soit la façon dont elle est appelée ou citée, dans laquelle deux ou plusieurs parties à un litige sont assistées d’un tiers pour parvenir à un accord sur la résolution du litige, que cette procédure soit engagée à l’initiative des parties, suggérée ou ordonnée par un tribunal ou prescrite par le droit national d’un Etat membre. Une fois que les deux parties acceptent la médiation, elles sont les maîtres de leur destin de trouver une solution à leur litige.

Il ressort de cette définition très large trois critères fondamentaux :

La médiation est avant tout un processus volontaire

Qu’elle soit ordonnée par le juge ou émanant des parties elles-mêmes, la médiation reste avant tout une démarche volontariste. C’est-à-dire que ce sont les parties elles-mêmes qui acceptent de recourir à la médiation comme moyen pour tenter de trouver une solution à leur litige. Cependant pour être efficace et productive, une médiation, présuppose deux conditions essentielles. La première est la bonne foi des parties à accepter de faire appel à un médiateur avec l’intention d’arriver à une solution au litige qui les concerne. La deuxième condition est la disponibilité des parties à entrer dans une logique de communication constructive pour dépasser les clivages et coopérer au rétablissement du lien interrompu à cause du litige. Le caractère volontaire de la médiation implique également que les parties peuvent refuser une médiation même si elle est initiée par le juge, comme elles peuvent l’interrompre à n’importe quel moment durant le processus. Cependant certaines législations obligent les parties à aller devant le médiateur avant d’entamer toute procédure judiciaire devant les tribunaux. Toutefois, cette obligation n’a pas d’incidence sur le règlement du conflit et les parties peuvent au terme d’une médiation « forcée », s’adresser à la justice pour trancher.

La médiation implique la présence d’un tiers, le médiateur

Pour mener une médiation, les parties sont assistées par une tierce personne, le médiateur, qui joue le rôle disons pour l’instant de facilitateur et/ou d’accompagnateur, en faisant rapprocher les points de vues des parties au litige. Il ne s’agit nullement pour le médiateur de se substituer au juge ou d’agir en conseiller et de décider pour les parties. On ne cessera de le répéter, le rôle du médiateur se limite exclusivement à écouter les parties, les aider à formuler clairement et abondamment leurs revendications et à établir une communication constructive entre elles qui peut éventuellement déboucher sur un accord mettant fin à leur conflit. D’une manière générale, le médiateur n’a pas de profil particulier. Il peut provenir de milieux et de formations aussi différents que variées. Il peut s’agir d’un médecin, d’un enseignant, d’un ingénieur, d’un travailleur social, d’un psychologue ou de toute autre profession reconnue, qu’il soit encore en fonction ou à la retraite. Cependant, n’est pas médiateur qui veut ! Comme le souligne Jean Louis Lascaux, « Si tout le monde est certainement médiateur dans l’être, il manque à chacun les compétences » (1) Ainsi en plus d’un certain niveau d’éducation et d’un comportement moral socialement acceptable, le futur médiateur doit, comme dans toutes les autres professions passer par une phase obligatoire d’apprentissage à la fois théorique et pratique, avant de prendre ses fonctions.  A l’issue de sa formation, le médiateur reçoit un enseignement spécifique portant sur les techniques indispensables à l’exercice de la profession et qui sont différentes avec la pratique des anciens chouyoukh ou de la djemaa de la Dachra’. Dans sa conception moderne, la médiation c’est d’abord un état d’esprit et une posture qui s’enseignent et qui s’apprennent et qui permettent au médiateur de mener à bien une médiation dans le sens moderne du terme. Au terme de sa formation, le médiateur doit, comme dans d’autres professions, prêter serment devant le tribunal de la juridiction de son domicile et devient ex officio, inscrit au tableau des médiateurs accrédités par les autorités judiciaires. Cette démarche, comparable en tous points à celles des avocats, est extrêmement importante pour la crédibilisation de la fonction de médiateur aux yeux de l’opinion publique.

La solution appartient aux parties

C’est les parties elles-mêmes qui, avec l’aide du médiateur, doivent fournir l’effort nécessaire pour trouver la solution qui convient le mieux à leur différent. En règle générale, dans toute médiation, le médiateur n’a aucune influence sur la décision des parties. Il est selon une expression bien répandue, l’homme du pouvoir mais qui n’a pas de pouvoir. Dans certaines législations comme aux USA par exemple, les parties peuvent, si elles le souhaitent, demander au médiateur de proposer une ou plusieurs solutions qui peuvent constituer la base de négociations en vue d’arriver à un accord, mais la décision finale d’accepter une solution revient aux seules parties.

A suivre


*Docteur d’Etat en droit (GB)
Master en médiation (Suisse)
www.swiss-consulting.net
(1)Jean Louis Lascoux, Pratique de la médiation, Esf Editeur, 4éme édition 2007, p.78.