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Tension convenue entre Pékin t Washington

par Akram Belkaïd, Paris

Il y a longtemps que l’on s’attendait à pareille sortie mais il faut tout de même avouer que les propos récents du Premier ministre chinois Wen Jiabao ont pris de court de nombreux observateurs. De quoi s’agit-il ? Vendredi dernier, il a exprimé sans aucune équivoque ses « craintes » à propos de la valeur des bons du Trésor américain dont Pékin détiendrait pour près de 1.000 milliards de dollars soit la moitié des réserves de change chinoises (*). «Nous avons prêté beaucoup d’argent aux Etats-Unis, a-t-il déclaré. Bien sûr, nous sommes préoccupés par la valeur et la sécurité de nos avoirs. Pour être honnête, je suis un peu inquiet.»


 
Des craintes justifiées
 


On se souvient qu’il y a quelques semaines, le Secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait, lors d’une visite officielle en Chine, remercié Pékin pour sa confiance dans les titres de dette américains, évitant au passage d’aborder les questions relatives aux droits de la personne humaine. On sait aussi que la question de savoir si la Chine va continuer à financer le déficit budgétaire américain se pose de manière récurrente. Pour ce pays, le problème est pourtant quasiment insoluble: cesser d’acheter des bons du Trésor américain offrirait la possibilité de diversifier ses réserves de change mais présenterait, à l’inverse, le risque majeur de déprécier les titres que Pékin possède déjà, ces fameux 1.000 milliards de dollars.

Pour nombre d’experts, peu adeptes de scénario-fiction, il n’y a aucune raison pour que cette situation change car ni la Chine ni les Etats-Unis ne peuvent rompre ce statu quo, les exportateurs chinois ayant besoin que les Etats-Unis empruntent de l’argent à leur pays pour leur acheter des produits « made in China ». La Maison-Blanche s’est d’ailleurs empressée de rassurer le gouvernement chinois en expliquant que les bons du Trésor américain étaient les placements les plus sûrs au monde, comme l’a martelé son porte-parole Robert Gibbs.

Comment expliquer alors cette sortie de Wen Jiabao ? Il y a d’abord certainement le fait que le plan de relance américain, qui creuse encore plus le déficit budgétaire, est vu d’un mauvais oeil par Pékin qui connaît l’adage: trop de dette tue la dette. Le message chinois est clair: ce n’est pas parce que nous finançons votre déficit qu’il faut continuer à le creuser.

 

Deux autres messages

 

Une autre explication tient dans le fait que Pékin tient à se rappeler au bon souvenir de son débiteur à l’heure où les Etats-Unis sont tentés par le protectionnisme et où les exportations chinoises à destination du marché américain ont tendance à stagner. Deuxième message: «si l’on vous prête de l’argent, ce n’est pas pour le dépenser ailleurs...». Enfin, une autre explication possible inquiète les salles de marchés. Que sait vraiment Pékin sur la situation financière des grandes entreprises américaines ? On se souvient que Washington a sauvé les deux établissements para-publics de financement hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae, en grande partie parce que la Chine détenait une large partie de leurs créances. Wen Jiabao a-t-il lancé une mise en garde par rapport à une faillite annoncée à Wall Street qui déprécierait un placement chinois ? Cette hypothèse ne peut-être exclue.

(*) Plus précisément, la Chine détient 730 milliards de bons du Trésor américain et près de 300 milliards de dollars de créances américaines assimilées, notamment des obligations émises par les établissements hypothécaires Fannie Mae et Freddie Mac.