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Le protectionnisme, mais quel protectionnisme ?

par Akram Belkaïd, Paris

C’est le (gros) mot à la mode. Partout, il n’est question que du danger protectionniste et il n’est pas une réunion internationale sans que ce thème soit abordé par les grands de ce monde. Pourquoi une telle inquiétude ? La réponse est simple. La crise née du krach boursier de 1929 a poussé les gouvernements de l’époque à fermer leurs frontières aux produits étrangers en mettant en place de sévères barrières douanières, et pour nombre d’historiens, ce protectionnisme fut l’une des raisons qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale. Du coup, et alors que la planète s’installe dans une récession généralisée, les Cassandres mettent en garde contre une répétition de ce mauvais scénario.

 

Les plans de sauvegarde mis en cause

 

La France s’est, par exemple, attirée les foudres de ses voisins à propos de son plan de soutien à l’automobile. De même, le programme de relance de Barack Obama est-il montré du doigt parce qu’il appelle les Etasuniens à acheter « made in USA ». Souvent, les critiques proviennent de pays émergents dont les économies dépendent beaucoup des exportations et qui craignent un tarissement de leurs débouchés à l’étranger. Dans le cas du plan français de sauvegarde de l’automobile, ce sont les pays de l’Europe de l’Est qui protestent le plus, car ils espéraient que la crise économique forcerait les Peugeot, Renault et autres Citroën à délocaliser leurs productions chez eux. Il faut aussi noter que même l’Algérie n’est pas exemptée de reproches, en France comme ailleurs, en raison de ses dernières mesures destinées à encadrer son commerce extérieur.

Dès lors, on comprend que Pascal Lamy, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ne perde aucune occasion pour appeler à la conclusion d’un accord qui scellerait le round de Doha en panne depuis 2001. Pour l’ancien commissaire européen, les Etats ont en effet intérêt à échanger plus et à ne pas se replier sur eux-mêmes pour lutter contre les effets de la crise. On connaît le dogme théorique qui sous-tend ce raisonnement : les pays qui commercent entre eux sont censés ne pas se faire la guerre... A l’heure où la crise de 1929 est la référence, il est plus facile de recourir à ce genre de raisonnement que de continuer d’affirmer, en dépit du bon sens et des statistiques, que la libéralisation du commerce mondial a été bénéfique pour tous les pays qui ont joué le jeu.

 
De quel protectionnisme parle-t-on ?

 

Il faut néanmoins s’interroger sur le sens de ces mises en garde contre le protectionnisme. Est-on d’abord sûr qu’il s’agisse bien de cela. Prenons le cas de la France. Ce pays n’a pas décidé de taxer la vente de voitures étrangères sur son sol. Il n’a pas non plus imposé un « achetez français » à ses ressortissants. Sa seule décision a été d’aider un secteur en difficulté au nom de la défense de l’emploi. Est-ce vraiment du protectionnisme ? Les ultra-libéraux, défenseurs de la table rase, l’affirment. Pour eux, l’Etat ne doit aider aucune industrie et laisser le marché faire son travail de sape au nom de la concurrence. Notons au passage que les cris d’orfraie, à propos du protectionnisme dans l’automobile, ont été bien plus nombreux que dans le cas des aides financières fournies aux banques...

Mais, de toutes les façons, le protectionnisme va tôt ou tard refaire son apparition y compris au Sud. Pour un pays qui n’a pas achevé sa mue économique et dont le tissu productif reste fragile ou à bâtir, cela pourrait avoir du bon car cela permettrait de donner du temps au temps et de faire écran à la dictature des marchés internationaux. En Occident, des experts comme Michael Lind ou Emmanuel Todd estiment qu’une dose de protectionnisme est la seule solution pour limiter les dégâts de la mondialisation. Il est peut-être temps que les pays du Sud, qui passent leur temps à ânonner sur les bienfaits du libre-échange, réalisent qu’au Nord les mentalités sont en train de changer à la faveur de la crise.