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Le secret bancaire suisse fissuré

par Akram Belkaïd

C’est un peu l’impensable qui vient de se produire aux Etats-Unis et en Suisse. En acceptant de livrer le nom de près de 250 de ses clients américains soupçonnés d’avoir fraudé le fisc, la banque UBS vient d’ébranler le mythique secret bancaire suisse.

C’est l’arrestation, en Floride, d’un ancien gérant de fortunes de la banque helvétique qui a précipité les choses et provoqué un véritable scandale national en Suisse. En acceptant de déroger au secret bancaire pour ne pas perdre sa licence bancaire aux Etats-Unis, UBS (qui a aussi versé près de 800 millions de dollars d’amende) s’est en effet mis à dos la communauté bancaire de son pays mais aussi une bonne partie de la classe politique suisse.

 

Le secret bancaire : une subtile distinction sémantique

 

L’affaire a aussi mis en exergue la subtilité helvétique en matière de sémantique bancaire. Ainsi, le droit suisse fait-il un étrange distinguo entre l’évasion fiscale et la fraude fiscale. Dans le premier cas, le contribuable soustrait, de manière intentionnelle ou non, une partie de ses revenus. Cet « oubli » n’est pas puni de manière pénale en Suisse (seule une amende est prévue) et donc il ne conduit pas à la levée du secret bancaire à l’inverse du second cas, en l’occurrence la fraude fiscale. Là, il s’agit de la présentation délibérée de faux documents pour tromper le fisc, ce qui ouvre la voie à des poursuites pénales. Pour pouvoir obtenir la levée du secret bancaire, un Etat étranger doit donc prouver aux autorités suisses qu’il s’agit d’un cas de fraude (ou de blanchiment) et non d’évasion fiscale. Et, jusqu’à la semaine dernière, il était rare de voir ce genre de démarche aboutir.

De nombreuses voix suisses ont beau dénoncer le « chantage américain », il n’en demeure pas moins que 250 (riches) contribuables étasuniens clients d’UBS vont bientôt recevoir la visite d’agents fédéraux puisque leurs noms et avoirs sont entre les mains de la justice de leur pays. Cela va fatalement porter un coup à la réputation d’inviolabilité des coffres helvétiques. Du coup, on évoque à Genève ou Zurich des fuites de capitaux à destination de Singapour ou d’autres paradis fiscaux.

Et pour bien comprendre l’importance de ce qui se joue actuellement, il faut savoir que l’industrie bancaire suisse pèse 13% du PIB et qu’elle gère 2.750 milliards d’euros d’actifs financiers dont 59% appartiennent à des clients étrangers. Cette affaire ne peut donc qu’inquiéter les milieux économiques suisses. Déjà, l’Union européenne souhaite que l’accord conclu entre UBS et la justice américaine fasse jurisprudence. Cela fait plusieurs années que l’Union européenne tente de faire pression sur Berne pour que la distinction entre « évasion fiscale » et « fraude fiscale » soit supprimée afin de lutter contre la concurrence fiscale en Europe. Jusque-là, les demandes de Bruxelles se sont toujours vu opposer une fin de non-recevoir. Mais les Européens ont désormais une idée de la méthode à suivre : il suffit de menacer une banque suisse de lui retirer sa licence bancaire dans un pays donné pour l’obliger à coopérer...

 

Le danger de l’internationalisation

 

C’est l’un des enseignements de cette affaire. En allant à la conquête de marchés étrangers, des banques suisses comme UBS se sont finalement exposées et mises à la merci de gouvernements décidés à lutter contre l’évasion fiscale. De nombreux établissements helvétiques, peu ou pas présents à l’étranger, ont d’ailleurs dénoncé l’« égoïsme » d’UBS qui a fissuré le secret bancaire pour sauvegarder son marché américain. Et leur colère est d’autant plus grande qu’ils devinent que les conséquences de cette affaire risquent d’être dévastatrices pour la réputation de toutes les banques suisses qu’elles soient ou non présentes à l’international.