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Un morceau d'Histoire, une leçon de vie

par Mohamed Bensalah

«Il y a en Algérie, des pratiques qui furent celle du nazisme, le nazisme que j'ai exécré et que j'ai combattu de tout mon cœur».
G. T.

Intellectuelle engagée, symbole de la résistance contre l'occupant nazi, miraculée des camps de concentration, militante farouche des causes justes, opposante résolue au colonialisme barbare. La femme aux convictions tranchées était tout cela et même plus encore. La liste des mérites de cette femme d'exception qui nous a quittés, le 19 avril 2008, à l'âge de 1O1 ans, est très longue. Nul n'ignore la profonde et sincère humanité dont la grande figure de l'ethnologie a donné un exemple lumineux en refusant l'occupation de son pays. Nul n'ignore ses engagements aux côtés des opprimés et pour les causes justes. Les insignes «Grand-Croix de la légion d'honneur», «Ordre national du mérite», «Croix de guerre», «Médaille de la déportation» pour faits de résistance, «Grand-Croix du Mérite allemand», ne lui ont pas tourné la tête. Jusque son dernier souffle la battante est restée fidèle à elle-même en se rangeant du côté des Sans-papiers de l'église Saint Bernard en 1997.

Cofondatrice (dès 1940) du réseau du Musée de l'Homme, premier réseau de résistance face à l'occupant nazi, Germaine Tillion fut dénoncée par un agent double et déportée, deux ans plus tard au camp de Ravensbrück en Allemagne, où sa mère sera gazée. Citoyenne du monde, l'ethnologue est arrivée en Algérie durant les années 1930. Se sentant très impliquée par l'évolution de la situation politique, la «femme des Aurès» va très vite réagir suite à ses enquêtes sur le terrain, en dénonçant la torture, la déportation des populations et l'utilisation du napalm par l'armée française. «Quand j'ai retrouvé les Auressiens, entre novembre 1954 et février 1955, j'ai été atterrée par le changement survenu chez eux en 15 ans et que je ne puis exprimer que par ce mot : «clochardisation», dira-t-elle. Elle y retourne en 1957 en pleine bataille d'Alger, quasiment en même temps que le général Massu qui venait d'avoir les pleins pouvoirs. Sa mission : mener des actions d'alphabétisation, de formation et de santé auprès des populations rurales déshéritées. Les 12O Centres sociaux, qu'elle a initiés, vont très vite attirés les foudres des militaires et des ultras. Nombreux responsables de ces centres furent arrêtés, torturés et même assassinés, comme Mouloud Ferraoun, Max Marchand, Ali Hamoutene.

La répression féroce de la soldatesque coloniale devenant de plus en plus insupportable, Germaine Tillion va inciter une commission internationale à venir enquêter dans les camps et les prisons. «En Algérie, dira la grande figure de l'ethnologie, il y a des pratiques qui furent celle du nazisme, le nazisme que j'ai exécré et que j'ai combattu de tout mon coeur». La pourfendeuse du colonialisme fut parmi les premières personnalités à dénoncer ouvertement la torture dans les camps militaires et dans les prisons. Femme de caractère et des missions difficiles, elle était en contact avec les principaux militants du FLN. Elle avait même réussi à obtenir l'arrêt des attentats à Alger, suite à ses contacts avec Yacef Saadi, Ali La Pointe, Zohra Drif et Fatiha Bouhired.

Ses nombreux ouvrages témoignent de son itinéraire riche et tumultueux. Ennemi complémentaire, (1960 et 2005) fait référence à ses rencontres avec les responsables du FLN. Le harem et les cousins (1966), L'Algérie en 1957 (1957), L'Afrique bascule dans l'avenir (1999), A la recherche du vrai et du juste (2001) Algérie auressienne, écrit en collaboration avec Nancy Wood (2001), et Les belles-mères contre les filles reflètent son parcours militant et ses engagements en Algérie et ailleurs. Ses chants et ses textes sont aujourd'hui célèbres. L'espoir, une opérette écrite en déportation, tirée de Verfügbar aux enfers et chantée à la sauvette, dans les camps, à des femmes venues de l'Europe entière est devenue une référence. Merci, Germaine, pour toutes vos leçons de vie !

 


* «Germaine Tillion: un siècle, une vie», conférence donnée au CRASC, par Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit.