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Les limites de la finance islamique en France

par Akram Belkaïd

Depuis quelques mois, la France semble découvrir, avec étonnement et beaucoup d’intérêt, l’existence d’une activité bancaire particulière, à savoir la finance islamique. Colloques, conférences, dossiers de presse et autres documentaires se multiplient pour expliquer et vulgariser «l’islamic banking». Les universités et les écoles de commerce s’y mettent aussi pour former les étudiants aux subtilités des divers outils destinés à contourner le taux d’intérêt : «Mourabaha», «Mousharaka», «Ijara» et «Moudaraba» sont en train de rentrer dans le vocabulaire commun des financiers. Et pour ne pas être en reste, le gouvernement français veut mettre les bouchées doubles pour adapter sa législation à la finance islamique.

 

Un retard important

 

Cette frénésie démontre le fait que la France a beaucoup de retard en matière de finance islamique. Durant des décennies, l’idée même d’offrir des produits bancaires «halal» relevait de l’impossible, pour ne pas dire de l’impensable. Alors que des centres financiers comme Londres, Genève et même le Luxembourg ont très vite compris l’intérêt de développer cette activité pour attirer des capitaux notamment du Golfe, la France s’est toujours maintenue à distance. Ce fut le cas au milieu des années 1990 quand la bulle technologique a profité, par ricochet, à l’investissement islamique. A cette époque se sont multipliés en Occident de nombreux indices boursiers destinés à mesurer les performances d’actions boursières de sociétés dont l’activité n’était pas jugée illicite au point de vue de la charia. C’est ainsi que les valeurs internet ont pu attirer des capitaux d’investisseurs du Golfe et cela pour le plus grand bonheur de courtiers et banques d’affaires qui ont très vite compris l’intérêt de développer des produits financiers islamiques.

De manière paradoxale, de nombreuses banques françaises ont su développer une compétence réelle en matière de finance islamique mais... uniquement hors des frontières de l’Hexagone, par exemple dans le Golfe. De l’aveu de l’un des dirigeants de l’une des grandes banques françaises, cela fait des années que l’idée de développer cette activité en France était dans l’air mais les projets sont toujours restés dans les placards. La raison est simple et peu avouable : la peur de provoquer une polémique dans un pays où les vigies laïques sont toujours promptes à s’enflammer. L’islamophobie récurrente et les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont aussi freiné le développement de l’islamic banking en France.

 

Quelle clientèle ?

 

Une autre question, stratégique, se pose pour les banques françaises qui se préparent à lancer des produits bancaires halal. Quelle clientèle visent-ils ? S’il s’agit d’attirer des investisseurs du Golfe, la tâche est ardue car Londres, Genève et Bahreïn ont beaucoup d’avance. Il faudra à Paris beaucoup de persévérance et de dépenses marketing pour arriver à s’imposer ou juste à avoir une visibilité. De même, parier sur la communauté musulmane de France n’est pas sans risque. Contrairement aux populations originaires du sud-est asiatique, rien n’indique que les Maghrébins de France seront enclins à opter pour ce type de bancarisation. Il existe bien une minorité qui recherche des placements éthiques et libres des taux d’intérêts mais, dans l’ensemble, les musulmans de France ont des comportements identiques à ceux du Maghreb. Placer leur argent dans un compte qui rapporte des intérêts ne les gêne pas. Ce qui incite à relativiser les espoirs de ceux qui espèrent que la finance islamique va se porter au secours d’un secteur bancaire français bien ébranlé par la crise.