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la stratégie des entreprises publiques algériennes: Cas de l'ENIE

par Mounir Slimani *

Suite et fin



L'analyse du diagnostic interne et externe



L'analyse du diagnostic interne et externe de l'ENIE fait ressortir les traits suivants:

- L'entreprise et fortement déstructurée avec un actif net négatif correspondant à 06 fois son capital, d'où son insolvabilité totale. L'évolution de l'actif net témoigne à l'évidence de la fragilité de l'assise financière de l'entreprise malgré les différents plans d'assainissement et de recapitalisation mis en oeuvre en vue du rétablissement définitif de l'équilibre de ses comptes. L'actif net négatif a atteint des proportions qui soumettent l'entreprise au regard des dispositions du code de commerce (article 715 bis 20) à la dissolution anticipée du fait de la forte absorption du capital par les déficits successifs enregistrés.

- L'entreprise se caractérise par un surendettement considérable qui génère des charges d'intérêt absorbant plus de la moitié de la valeur ajoutée.

- L'entreprise présente un fonds de roulement négatif, cela signifie qu'elle finance le haut et le bas du bilan exclusivement par des découverts bancaires, et ce malgré les différents reprofilages et assainissement financier engagés par les pouvoirs publics.

- En raison du poids important des actifs réalisables, en particulier les stocks, ENIE est caractérisée par des besoins en fonds de roulement élevés pénalisant le cycle de trésorerie de l'entreprise.

- Le cycle d'exploitation se caractérise par une marge brute d'autofinancement négative, ce qui signifie que c'est la banque qui finance l'activité de l'entreprise.

- ENIE est une entreprise totalement insolvable.

- ENIE est une entreprise non viable économiquement dans sa forme actuelle.

En l'absence de statistique fiable, le secteur de l'électronique grand public est difficile à segmenter. L'analyse des grandes tendances du marché se limitera à l'EGP qui représente 96% de la production vendue de l'ENIE. Le marché Algérie de l'EGP (télévision couleur, DVD, VCR, récepteurs radio, chaîne hi-fi) est un marché de plus en plus mondialisé, de taille relativement importante, fortement concurrentiel.

Malgré les graves difficultés financières, l'entreprise a réussi à maintenir ses parts de marché à hauteur de 55% dans un secteur fortement investi par les fabricants privés. Le chiffre d'affaires a progressé de 30% en 2001 et la tendance se confirme en 2002. L'entreprise reste encore leader dans son domaine. Cette position est due à de nombreux atouts mais peut être consolidée en agissant sur les points faibles.



Atouts de l'ENIE



- Une image de marque favorable, l'image de marque dont jouit l'ENIE est due à plusieurs facteurs dont :

- la position de quasi-monopole qu'avait l'ENIE pendant près de deux décennies, associée au slogan «ENIE fleuron de l'électronique» ;

- la qualité des produits offerts ;

- la prise en charge du service après-vente par un réseau étoffé, composé de 42 ateliers répartis à travers le territoire national et 44 agents agrées.

- Un pouvoir de négociation élevé : du fait de l'importance de sa production (en moyenne 250.000 TVC/an sur la période de 2000-2004), ENIE dispose d'un pouvoir de négociation élevé vis-à-vis de ses fournisseurs, ce qui lui permet d'acquérir des composants à de meilleures conditions que ses concurrents.

- Mise en oeuvre d'une politique commerciale (incluant un plan de communication) dynamique.

- D'importantes capacités de production pouvant permettre des économies d'échelle. La capacité actuelle de l'ENIE est de l'ordre de :

- 480.000 TVC/an en une équipe ;

- 480.000 appareils audio/an en une équipe.

 Cette capacité tend à croître du fait de l'évolution technologique qui facilite l'assemblage (composants actuellement de plus en plus intégrés). En deux équipes, la capacité peut être multipliée par 1,8, soit :

- 720.000 TVC/an :

- 860.000 appareils audio/an.



Et points forts de l'ENIE



A côté de ces atouts, certains points faibles risquent de compromettre à plus ou moins long terme la position de leader. Principaux points faibles de l'ENIE :

- Dispersion de l'activité sur trois sites (SBA, Blida et Télagh), cette dispersion annihile les économies d'échelle susceptibles d'être procurées par le volume d'activité.

- Equipement relativement vétuste ; les unités de SBA et Blida (réalisées respectivement en 1978 et en 1983) fonctionnent encore en insertion nouvelle, et avec un bain de soudure simple vague. La vivacité de la concurrence actuelle et potentielle ainsi que la forte élasticité de la demande par rapport au prix font que la maîtrise des coûts et des politiques commerciales constituent des facteurs clés de succès. La faiblesse des performances économiques de l'ENIE, dont l'origine se situe au niveau de sa fragile structure financière, des objectifs principalement économiques et sociaux incompatibles avec la rentabilité financière qui lui sont fixés, s'explique aussi par l'insuffisante maîtrise de la gestion, qui se caractérise par la sous-utilisation des capacités de production, des organisations inadaptées, des déséquilibres entre les niveaux hiérarchiques et les niveaux d'exécutants, les faibles niveaux de compétence du personnel technique, de la maîtrise des cadres supérieurs.

La centralisation très poussée, la maintenance inefficace, la méconnaissance du marché, le manque de rigueur dans le contrôle de la qualité, la non-fiabilité des systèmes d'information de gestion, la mauvaise tenue de la comptabilité, l'absence de comptabilité des coûts, la non-prise en charge des fonctions d'audit et de contrôle de gestion et surtout l'absence de l'approche managériale stratégique.

Par ailleurs, les informations financières et comptables sont fondées sur le découpage par unité et non pas par activité, du fait de la non-existence de la comptabilité analytique d'exploitation. Cette organisation de l'information se traduit par une quasi-impossibilité de maîtriser les coûts avec précision. Les données sur l'environnement sont insuffisamment intégrées dans le système d'information. Evoluant dans un contexte fortement concurrentiel et dans un environnement particulièrement turbulent, l'organisation de l'ENIE devra :

- Rechercher une plus grande souplesse (allégement des structures et raccourcissement de la ligne hiérarchique).

- S'appuyer sur un système d'information intégrant les tableaux de bord, la comptabilité analytique d'exploitation et la veille stratégique.

- Evolution vers un système de management par objectif (direction par objectif) d'autant que l'organisation générale de l'ENIE s'y prête.



Changement de Politique industrielle (PI)

 

L'entreprise ENIE avait initialement pour mission de développer une industrie électronique en Algérie. Dans cette perspective, elle a intégré une production diversifiée de composants électroniques, mécaniques, plastiques, etc. entrant dans la composition des produits audiovisuels grand public. La gamme de fabrication ENIE s'étend à plusieurs types de produits, parmi lesquels le téléviseur tient aujourd'hui une place prépondérante. Depuis 1995, l'ENIE a connu un changement radical dans sa stratégie industrielle. Elle s'est orientée vers le kiting qui consiste à importer le téléviseur en éléments décomposés pour en assurer l'assemblage localement. Certains composants ont tout de même continué à être intégrés jusqu'à 1998. Mais à partir de 1999, cette intégration a été réduite à néant. Plusieurs raisons sont à l'origine de ce changement de politique industrielle, et notamment :

- L'absence d'une vision stratégique de développement de l'entreprise dans un marché national et international en constante mutation.

l- Approvisionnement irrégulier des ateliers en pièces de rechange nécessaires au bon entretien des équipements, ce qui a contribué à une usure prématurée de ces derniers et à une baisse de la qualité de production.

- Le cumul d'insuffisances et de retards dans la mise à jour des procédés de fabrication.

- La non-préparation préalable des ateliers composants leur permettant de s'adapter aux exigences de nouveaux produits importés. L'ENIE vit actuellement une situation transitoire consécutive au processus engagé de changement de politique industrielle, qui est passé d'une production fortement intégrée à une production basée sur l'importation de téléviseurs CKD (partiel), et leur assemblage. Le changement de politique industrielle, qui est dicté par des raisons de non-compétitivité des produits ENIE. Cette situation s'est traduite par la mise à l'arrêt total ou partiel de la majorité des ateliers de fabrication de composants.



Les raisons de la mise à l'arrêt



Les raisons essentielles à l'origine de ces arrêts sont :

- La non-préparation préalable des ateliers de composants (dont les technologies mises en oeuvre sont toujours d'actualité) leur permettant de s'adapter aux exigences de nouveaux produits importés, et donc de s'intégrer dans le processus de fabrication. Le kiting est une solution qui a eu l'avantage de mettre sur le marché un produit up.to.date sans grande difficulté, mais il a présenté l'inconvénient majeur, parce qu'il n'a pas été suffisamment planifié, de mettre la plupart des ateliers en chômage technique total ou partiel.

- La suspension de la sous-traitance extérieure pour des raisons de procédures internes. L'obsolescence totale de certains composants fabriqués par PENIE, tube cathodique noir et blanc, résistances, potentiomètres, condensateurs céramiques et ferrites. L'arrêt de la production des télévisions noir et blanc depuis 1997.

La production des composants et des produits finis est caractérisée par une forte concentration industrielle : l'essentiel de la production est assurée par dix firmes. Cette concentration s'explique par les caractéristiques de la filière électronique :

- Commandement de la filière par l'amont (composants en général, composants actifs en particulier), qui exige un important potentiel technologique.

- Evolution technologique très rapide (miniaturisation, intégration, automatisation de plus en plus poussées), nécessitant d'importants investissements en recherche et développement et en équipement (l'ordre de 10% du chiffre d'affaires). Conséquence : obsolescence de 60 à 70% des produits après 10 ans (dus à la rapidité de l'innovation technologique) ; baise annuelle des prix de l'ordre de 10%.



L'adhésion à l'OMC et ses impacts industriels



L'impact sur la filière électronique algérienne : l'adhésion de l'Algérie à l'OMC renforcera l'intégration de la filière dans le marché mondial, ce qui nécessite la recherche des niches, en partenariat avec une grande firme étrangère. La production d'électronique grand public apparaît déjà largement concentrée à l'échelle mondiale : trois quarts de la production mondiale sont réalisés par les dix plus grandes entreprises. L'importance des dépenses de recherche et développement et de marketing ont largement favorisé le processus de concentration. La fabrication de produits électroniques grand public est en effet une activité à forte intensité technologique. Le processus de production est marqué par une forte division internationale du travail. Les pays développés concentrent les activités de R&D, de ventes et de marketing alors que la production est de plus en plus souvent délocalisée dans les zones à coût de main d'oeuvre plus faible. Cette division du travail (dans le domaine de l'EGP) ne peut s'exercer à l'échelle de la configuration actuelle de l'ENIE (dimension des structures et passif lourd). En conséquence, il existe de faibles possibilités d'engranger des partenariats avec l'ENIE et l'ensemble des métiers existants.

La refondation de l'EPE autour des métiers Les réalités du moment imposent dans une première étape une refondation de l'entreprise autour des métiers encore viables et rentables, dans lesquels émergeront une ou plusieurs entités nouvelles créatrices de richesses et évoluant de façon durable en économie de marché et éligibles aux opportunités de privatisation et de partenariat. L'entreprise, dans ses missions et activités actuelles, accuse au plan stratégique une grande dispersion de ses ressources et moyens. C'est ainsi qu'elle intervient dans huit domaines d'activités stratégiques et se trouve dotée d'une filiale spécialisée dans la fabrication de micro-ordinateurs, de dix unités de production de composants et de montage de produits audio et vidéo, et de cinq unités de distribution. L'ENIE a perdu sa position de leader dans l'ensemble des domaines d'activité stratégique, du fait de nouveaux entrants sur le marché. L'arrivée sur le marché des produits audio et vidéo de concurrents dynamiques, pousse dès lors l'entreprise pour sa survie à recentrer ces moyens potentiels autour des métiers de base porteurs et économiquement viables. Il faut restructurer l'entreprise et commencer sa mise à niveau car les accords internationaux signés par l'Etat, à l'instar de l'accord d'association à venir avec l'OMC, dictent de se hisser au niveau de la compétitivité internationale. Cela passera par l'identification des segments technologiques à privilégier (domaine d'activités où le partenariat doit être promu).

L'adaptation de cette donne exigera de se délester de certaines activités, d'abandonner des produits et de renforcer les segments jugés rentables. L'entreprise devra se spécialiser en gardant uniquement le montage des produits EGP pour espérer attirer des partenaires pour une prise de participation dans le capital. L'ENIE se doit de se redéployer et se restructurer en conséquence avant toute option de désengagement.



La restructuration industrielle



La restructuration industrielle se fera en deux directions : redimensionner complètement l'ENIE autour de deux domaines d'activité, à savoir :

- La fabrication de composants électroniques (HP bobines, transformateurs ou condensateurs) standards et non sujets à des évolutions technologiques.

- Le montage des produits électroniques grand public audio-vidéo et micro-ordinateurs.

L'abondant total des autres domaines d'activité et notamment les segments de l'électronique médicale, de l'électronique professionnelle, de la fabrication de composants électroniques actifs (diodes, transistors, circuits intégrés, tubes cathodiques) à évolution technologique rapide et à économie d'échelle très importante nécessitant des marchés de gros volume (autres que le marché de l'ENIE), l'essentiel des ateliers de service après-vente.

Les objectifs du processus de restructuration permettront à l'ENIE, le regroupement en une seule entité des activités liées au métier de base et économiquement viables et la cession d'actifs pour les activités non viables.

La restructuration de l'entreprise se traduira par la recomposition de l'ENIE sur deux sites autour des activités ci-après :

- Site de Sidi Bel-Abbès:

- activité EGP, activité métallo-plastique, activité composants électroniques passifs.

- Site de Hassi Ameur:

- activité «fabrication et montage de micro-ordinateurs»

Cette nouvelle configuration de l'entreprise occupera environ 1.500 agents. Le désengagement de l'Etat de PENIE, avec la configuration actuelle, nécessitera la mobilisation d'importants capitaux sans pour autant être sûr de trouver un repreneur. En conséquence, la fragmentation de l'entreprise en plusieurs activités indépendantes ou «compartiments», plus facilement cessibles à des repreneurs, est nécessaire. Cette solution peut intéresser aussi bien les salariés exerçant l'activité considérée que les repreneurs locaux ou étrangers.

Plusieurs modes et techniques de désengagement peuvent être adoptées, simultanément, après avoir identifié les îlots de variabilité au sein de l'entreprise en opérant à sa restructuration industrielle. Elles peuvent prendre l'une des formes suivantes :

- Ouverture du capital auprès des partenaires étrangers par la mise à niveau technologique nécessaire à son développement.

- Cession d'actifs physiques par appel d'offres national et international. Cession de gré à gré (nouvelles entreprises créées ou bien éléments d'actifs physiques).

- Reprise d'entreprises par leurs salariés (organisés en sociétés conformément à l'article 29 de l'ordonnance 01.04 du 28.08.01 et au décret du 10.11.2001).

Dans ce nouveau contexte concurrentiel, la compétitivité devient un impératif incontournable auquel les nations et les firmes doivent répondre sous peine de voir leurs produits déclassés par ceux d'autres nations et firmes plus performantes, c'est pourquoi la définition de la stratégie est décisive pour l'épanouissement et le développement de celle-ci (PORTER1999).



Problèmes rencontrés sur le terrain

 

La concrétisation de ce travail s'est heurtée aux difficultés incommensurables inhérentes à toute activité de recherche en sciences sociales menée de surcroît dans un contexte politique et socio-économique instable et fort contraignant. Plus précisément la période durant laquelle nous avons effectué notre recherche a été marquée, au niveau des EP, par une instabilité chronique des structures organisationnelles des entreprises et une incertitude radicale quant au devenir de ces dernières. Ces conditions ont rendu difficile l'accès à l'information. Outre l'accès problématique à l'information propre aux entreprises publiques, qui renvoie en fait à l'opacité et aux dysfonctionnements institutionnels qui caractérisent la gestion de la sphère économique publique en Algérie, l'analyse financière de ces entreprises est entravée par un second écueil : celui de la fiabilité des données produites par les entreprises. Le cas de PENIE est à cet effet fort significatif dans la mesure où nous avons été amenés à constater l'incohérence de certaines informations pourtant vitales pour l'entreprise (créances, dettes, réévaluation des actifs détenus par l'entreprise). Cette situation témoigne d'une maîtrise insuffisante des éléments fondamentaux constitutifs de la comptabilité de l'entreprise, notamment dans son aspect historique ; cette carence témoigne aussi, de ce que l'évaluation pertinente et objective de la santé financière des EP ne constitue pas un centre d'intérêt majeur aussi bien pour l'Etat propriétaire que les gestionnaires auxquels sont confiés les actifs publics. La déliquescence qui caractérise la tenue des comptes comptable de PENIE renvoie, en fait, à cette «gestion permanente de l'urgence». Dans ce contexte de fonctionnement «par l'urgence», les critères d'efficacité économique et de transcription régulière des nombreuses transactions sont relégués en seconde position se traduisent souvent par des comptes incohérents voire même erronés. Aussi, les informations consignées dans la présente section devraient être considérés beaucoup plus comme des ordres de grandeur valables pour le traitement de la problématique posée par notre recherche, que comme des évaluations précises au sens «comptable» du terme de la santé financière de l'entreprise.

Les données chiffrées qui ont servi aux analyses du diagnostic financier n'ont pas fait l'objet d'un audit, mais uniquement d'un contrôle de vraisemblance. En tout état de cause, le système d'information de l'ENIE ne permet pas de garantir la véracité des chiffres utilisés, ni de disposer d'informations suffisamment précises. En conséquence, les analyses et les conclusions présentes n'ont de valeur que «relative». Elles permettent d'identifier et de chiffrer les volumes et les tendances en grande masse.




* Economiste gestionnaire