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Le libéralisme a le cuir tanné

par Akram Belkaïd

On pensait l’affaire entendue depuis plusieurs mois : la crise financière, rapidement étendue à la sphère économique, est la preuve que le néolibéralisme ne mène à rien si ce n’est à plus d’inégalités et à des catastrophes multiples. Dans les colloques comme dans les articles de presse ou les déclarations des hommes politiques, le mot « régulation » est omniprésent de même que la célébration du retour, voire du réveil, des Etats. Mais est-on sûr que le constat est aussi unanime que cela ?

 

Les libéraux ne lâchent pas l’affaire

 

Un article du Monde Diplomatique du mois de février vient de rappeler à quel point la situation est bien plus nuancée (1). Ici et là, à Washington comme à Paris, des poches de résistance activent, tentant vaille que vaille de défendre l’idée selon laquelle la crise relève de la responsabilité des Etats et non pas du libéralisme. Les premiers sont accusés d’avoir été incapables de jouer leur rôle de régulateur ce qui, au final, aurait perverti les mécanismes libéraux. Pour les thuriféraires du « laissez-faire », la crise est de plus la preuve que le libéralisme recèle en lui-même les mécanismes d’autorégulation puisque ses excès récents ont finalement été corrigés. Pour eux, loin d’être une catastrophe, l’effondrement de la planète boursière serait donc un événement positif, une salvatrice remise des compteurs à zéro.

Qu’importe bien entendu que des millions d’emplois aient été détruits de par le monde ou que des pays entiers s’enfoncent dans la faillite avec, parmi eux, l’Islande et demain peut-être la Grande-Bretagne, la Turquie ou encore la Russie. Tous ces postes perdus ne sont, dans la vulgate néo-libérale, que des variables d’ajustement qui ne doivent pas faire oublier que la doctrine est bonne même si la réalité renâcle à le confirmer.

Citons enfin ceux qui estiment que la crise est intervenue parce que les réformes libérales n’auraient pas été suffisamment ambitieuses et que les Etats mais aussi les Banques centrales auraient conservé trop de pouvoir en matière d’élaboration des politiques économiques et financières. Ainsi, lit-on beaucoup de critiques à l’encontre de la Réserve fédérale ou de la Banque centrale européenne (BCE) accusées d’avoir, avec les taux bas, inondé le marché d’argent « gratuit », ce qui a généré les bulles (notamment immobilières) puis leur éclatement aux conséquences catastrophiques que l’on sait. Etonnant discours quand on sait que ce sont bien ces mêmes courants libéraux qui n’ont eu de cesse de réclamer des politiques monétaires laxistes au cours des quinze dernières années et cela au nom de la défense des marchés financiers (toujours prompts à saluer les baisses des taux d’intérêts).

 

Une nature qui a horreur du vide

 

Les gesticulations et discours quasi-révisionnistes des néo-libéraux ne sont pas simplement la preuve de la persistance d’un courant de pensée qui refuse de faire son mea-culpa. C’est aussi le signe évident des tergiversations des courants politiques plutôt enclins à se méfier du marché. La gauche européenne, par exemple, a du mal à capitaliser sur la crise. On la sent hésitante, peut-être honteuse de s’être trop longtemps inclinée face aux pressions libérales. C’est un peu comme ces équipes de football ou ces joueurs de tennis qui ont du mal à concrétiser leur domination par peur de la victoire. Comment s’étonner après cela que l’autre camp continue de faire entendre sa voix avec la plus parfaite des mauvaises fois ?

 


(1) Pour les vrais libéraux, la meilleure défense, c’est l’attaque, Eric Dupin, février 2009.