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Que veut Israël ?

par Kerboua Salim *

La question semble quelque peu étrange, voir stupide. Que veut Israël si ce n'est une paix durable avec les pays arabes et, bien sûr en tout premier lieu, avec les Palestiniens. Que désire Israël si ce n'est une solution basée sur deux Etats, être reconnu par le concert des nations arabes, et vivre en paix et en sécurité en leur sein.

C'est apparemment ce que ne cessent de répéter les médias occidentaux et les officiels israéliens, tous partis et tendances confondus. Même les plus fervents soutiens d'Israël dans ce qu'on aime à désigner la communauté internationale (Etats-Unis et al) réitèrent cette limpide assertion : Israël désire la paix avec ses voisins arabes.

Le récurrent appel israélien à la paix n'est pas nouveau, loin de là. A titre d'exemple, la dite «stratégique» proposition arabe de «la paix contre la terre» n'a-t-elle pas été substituée par la formule Netanyahuienne «la paix contre la paix» vers la fin des années 1990 ? En effet, ce précepte avait été conçu et suggéré par des pacifistes néoconservateurs célèbres tels Richard Perle, Douglas Feith ou encore David Wurmser, qui plus tard eurent la très bonne idée de suggérer à Georges W. Bush de libérer l'Irak et de lui exporter le modèle américain de démocratie, faisant des centaines de milliers de morts au passage. La formule fut énoncée par ces colombes dans une étude titrée «une rupture nette : une stratégie pour sécuriser le territoire» (A Clean Break : a Strategy for Securing the Realm). Evidemment, il est préférable d'avoir deux «paix» plutôt qu'une. Au lieu d'une paix arabe en contrepartie d'un bout de terre où les enfants d'Ismaël pourraient parquer leurs encombrants frères palestiniens, Israël eut le charitable geste d'offrir une seconde paix en retour. N'est-ce pas joli ? Oui, le très démocratique, le très occidental, et très généreux Israël décida d'offrir la paix à ses voisins arabes. Donc, l'idée de demander ce qu'Israël veut est vraiment, vraiment, stupide !

Mais, au fait, vouloir une chose et faire son contraire n'est-il pas aussi stupide ? L'idée de faire la guerre pour avoir la paix n'est-elle pas saugrenue, indécente, criminelle ?

Répondez-moi. Est-ce qu'une nation dite démocratique et occidentalisée, une nation qui partage les mêmes valeurs que des pays comme les Etats-Unis (!), la France, ou le Royaume-uni, est-ce que ce genre de nation encercle, emmure et assiège un million et demi de personnes dans une minuscule bande de terre ? Est-ce que ce genre de nation affame ces mêmes personnes, les prive, pendant plusieurs mois, de tous les besoins primaires et indispensables tels les médicaments, l'eau potable ou l'électricité pour les hôpitaux ? Est-ce qu'une nation qui se qualifie d' «occidentalisée», qui se dit imprégnée des idéaux les plus-démocratiques, des valeurs les plus-humanistes, les plus-éthiquement et esthétiquement hautes (les valeurs dites «judéo-chrétiennes » bien sûr) ; est-ce que cette nation là déverse des milliers de tonnes d'explosifs, des bombes, et lance des centaines de missiles sur des populations civiles désarmées et moribondes, tuant plus de 1.400 personnes dont plus de 400 enfants et plus de 100 femmes, et mutilant plus de 5.000 autres ? Est-ce que ce genre de nation fait ce qu'elle fait et aspire ensuite à recevoir la paix tant attendue en échange ? Cette fois-ci, répondre à une telle question serait vraiment stupide !

Par contre, n'importe quel spectateur d'intelligence moyenne peut remarquer une chose, peut affirmer une chose très essentielle : en faisant ce qu'elle a fait durant ces trois dernières semaines, Israël a fait une erreur stratégique. Le massacre qui s'est produit à Gaza pendant vingt-trois jours enracine le conflit, la haine et la soif de vengeance pour des générations à venir.

Oui. Le conscient et l'inconscient collectif arabo-musulman - de Tanger à Jakarta - n'oubliera jamais ce qu'Israël a fait, la façon dont il l'a fait, et qui furent ses victimes. Le peuple juif a-t-il oublié ce qu'Hitler a fait durant la Seconde Guerre mondiale ? En faisant ce qu'il a fait, Israël a-t-il fait une faveur à ses futures générations, à ses enfants qu'il désire tant protéger ? Les peuples arabes et musulmans risquent fort de ne jamais oublier les images relayées par les medias des enfants palestiniens, arabes, musulmans, morts calcinés, défigurés ou démembrés. Ils n'oublieront jamais ces corps de femmes, d'enfants et de vieillards inidentifiables, gros amas de chair morcelée. Ils n'oublieront jamais ces pères et ces mères pleurant leurs bébés morts mutilés. Ils n'oublieront jamais ces garçons et ces filles brulés jusqu'à l'os par on ne sait quelle innovation israélienne létale, par on ne sait quel gaz au nom bizarre, ou par on ne sait quel nouvel instrument de mort «hi-tech». Les exemples décrivant cette sordide agression sauvage ne manquent pas. Ils sont plus effroyables les uns que les autres.

Car, ici, il ne faut pas oublier que nous parlons de populations civiles. Nous parlons d'une des armées les plus développées de la planète menant une guerre d'extermination sur des populations civiles. Oui, nous parlons d'extermination programmée de populations civiles. Nous ne parlons ni du Hamas, ni du Jihad Islamique, ni de n'importe quelle autre branche armée du mouvement palestinien. Les médias parlent de guerre. Ce ne fut pas une guerre, car la guerre présuppose de l'existence de deux armées - même à capacités inégales - sur le terrain. Ce ne fut pas le cas. Les milliers de chars, blindés, chasseurs, drones, soldats, pièces d'artillerie, tous portaient une seule couleur, un seul drapeau, une seule bannière. Extermination car la thèse de «dommages collatéraux» est indécente à soutenir, grotesque même, quand des chasseurs israéliens s'appliquent d'une rare précision à transformer des immeubles d'habitation, des mosquées, des hôpitaux, et des écoles en tas de débris comme si un séisme technologique avait englouti les bâtiments et ses occupants, comme si un cyclone de fer et de feu avait rasé tout ce qui symbolisait la vie dans Gaza. Extermination car la thèse qui explique que l'armée israélienne visait la population pour faire plier le Hamas est, toute effroyable que fut cette thèse, improbable. En effet, le prétexte de protéger la population israélienne des rockets faites-maison du Hamas est ridicule. En deux ans, le nombre d'israéliens tués par ces rockets rudimentaires et imprécises ne dépasse pas les doigts des deux mains !

Oui. L'assaut israélien sur la population civile ne fut ni un immense dommage collatéral, ni un moyen de briser l'ennemi. Ce fut une fin en soit.

Revenons à notre question casse-tête : que veut Israël ? La paix bien sûr. Mais avec ce qu'Israël a perpétré à Gaza, avec une telle application et une telle méthode, avec qui veut-elle faire la paix ? Ha, j'oubliais, elle a déjà réussi à faire la «paix» avec ceux qui, depuis quelques années, crient haut et fort que cette paix est «un choix stratégique». Nous sombrons dans le surréalisme ! Continuons. Israël a déjà fait la paix avec le président Sadat, son héritier le président Moubarak, le roi Abdallah II, et elle aspire à faire la paix avec le monarque absolutiste de la Maison des Séoud, le roi Abdallah. Et là, il y a un hic. Ce qu'Israël a oublié, ou ce qu'Israël ne comprend pas, c'est qu'elle n'a fait la paix qu'avec des hommes pour ne pas dire des tyrans. Ce qu'Israël ne comprend pas et ne comprendra sans doute jamais, c'est que la paix ne se fait jamais avec des hommes et encore moins des imposteurs, des pharaons, ou des monarques autoproclamés, impotents et haïs. Ceux-là sont humains donc mortels. La paix se fait entre peuples. Quand le peuple est démocratiquement représenté par des hommes, la paix a des chances de naître et de durer. Mais si la paix n'est pas vraiment une paix, mais juste une sorte d'arrangement avec un quelconque dictateur arabe, sous pression ou avec motivation d'inspiration américaine, ce qu'ils appellent «paix» n'est qu'une chimère éphémère qui ne promet rien d'autre que futur chao.

Enfin, à vouloir quelque chose et faire son contraire, Israël prépare un avenir loin d'être heureux à ces enfants. Pour ce qui est de notre question, ce qu'Israël veut, si c'est la paix, Israël l'a enterré avec des centaines d'enfants sous les ruines de Gaza. Eux, sûrement, méritent de reposer en paix.




* Maître-assistant, Département d'Anglais, Université Mohamed Khider de Biskra.