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Ghaza ou le refus de l'impuissance

par Yacine Teguia *

La barbarie israélienne a permis d'arracher les voiles de l'hypocrisie et de la convenance et de montrer, de la façon la plus nette et la plus brutale, ce qu'est la véritable nature fasciste d'Israël, le conditionnement d'une large partie de la classe politique et des médias occidentaux par la propagande sioniste, autant que ce qui est corrompu et obsolète dans le monde arabe et musulman et où se trouve le gage de son développement et de sa marche vers le progrès.

Ceux qui, en Algérie et partout à travers le monde, se sont dressés contre l'agression ne devront pas seulement se contenter d'un cessez-le feu mais exiger le retrait de tous les territoires occupés, la fin du blocus sur Ghaza, la mise en oeuvre du droit à un Etat palestinien viable et des enquêtes sur les crimes de guerre commis par Israël qui n'a pas hésité à utiliser des armements prohibés. La formidable mobilisation planétaire a permis de stopper l'horreur, mais jusqu'à quand? Déjà Israël reçoit des USA des milliers de tonnes de bombes qui lui permettraient de mettre à feu et à sang tout le Moyen-Orient. Seule la mise en oeuvre du droit international et le maintien de la mobilisation pour des rapports internationaux plus justes et plus démocratiques pourront garantir le véritable retour à la paix pour les Palestiniens et dans toute la région.

Pour le moment, on découvre les autres cadavres laissés par cette guerre, entre autres ceux des Etats arabes. Les bombardements et les crimes monstrueux perpétrés par l'Etat hébreu contre des Palestiniens innocents soumis à un blocus inhumain, privés d'eau, d'électricité, de soins et voyant leurs maigres infrastructures et leurs maisons détruites, ont révélé plus clairement les contradictions internes de l'ensemble des Etats de la région. Ces bombardements ont mis à nu la crise profonde du monde arabe, frappé aux plans politique, économique, social, culturel et du système de représentation.

Il apparaît, plus que jamais, que l'unique issue à cette crise est le passage à un système politique démocratique moderne, fondé sur la séparation de la religion et de la politique et la reconnaissance d'une identité moderne qui plonge ses racines vivantes dans toute l'histoire et se nourrit à la civilisation universelle. Les Algériens qui ont dû affronter, dans l'intervalle de quelques décennies, le colonialisme et la question du passage à la modernité, dans la douleur et au prix de sacrifices inouïs, comprennent, plus que d'autres, la complexité et la lourdeur du double challenge que doit relever le peuple palestinien mais aussi en quels termes doit s'exprimer leur solidarité et quel est le nouveau défi qui les attend.

Alors même que l'on a enterré Samuel Huntington, le concepteur de la théorie du choc des civilisations, une des questions fondamentales qui est posée par cette nouvelle boucherie à laquelle s'est livré Israël est celle de la division entre partisans du caractère étroitement arabo-musulman de la question palestinienne ou de la subordination aux tenants de cette thèse et défenseurs de son caractère démocratique universel en liaison avec la résistance au néolibéralisme fauteur de guerre. Et en creux, il faut bien voir que la conception raciste d'Israël comme Etat juif, dans lequel les partis arabes viennent d'être interdits de participer aux élections à venir, alimente et constitue le pendant de la première conception. En brandissant un portrait d'Hugo Chavez qui venait d'expulser l'ambassadeur d'Israël au Venezuela, un manifestant a indiqué depuis Damas que les peuples arabes n'acceptaient plus ni la solidarité platonique ni les appels au Jihad qui excluent les non-musulmans ou ceux considérés comme tels et en font même des cibles comme vient encore de les désigner, en Algérie, Abderrahmane Chibane, dans un débat sur l'abolition de la peine de mort, où il oppose injustement les convictions musulmanes au droit positif, à la démocratie et à l'humanisme. En agissant ainsi le président de l'association des Oulémas algériens a tourné le dos à ce syrien qui a exprimé le refus de se laisser enfermer dans une identité réductrice qui a isolé les Palestiniens du reste du monde, favorisant la récupération de leur cause. Le geste de ce manifestant syrien souligne le divorce entre les Etats et les sociétés à l'échelle du monde arabe. La presse démocratique algérienne, en évoquant les manifestations des pacifistes israéliens ou en Occident, critique, pour sa part, un pouvoir qui aura pendant près de deux semaines interdit de manifester à Alger pour dénoncer des crimes contre l'humanité, avant de céder à l'irrépressible demande démocratique et populaire.

L'évolution de la situation et des rapports de forces sur le court et le moyen termes dira certainement que les peuples arabes et leurs élites démocratiques sont convaincus qu'une certaine conception du monde arabo-musulman est morte, vaincue par l'opportunisme et le fanatisme. C'est pourquoi Livni Tipzi, la ministre israélienne des Affaires étrangères s'est moquée des dirigeants arabes en annonçant le déclenchement de l'agression depuis l'Egypte tandis que Condoleeza Rice explique, depuis le 11 septembre 2001, qu'il vaut mieux se référer à la géographie et parler de Grand Moyen-Orient plutôt que de monde arabo-musulman. L'une et l'autre ont pris acte, de façon cynique, de l'effondrement politique et idéologique des régimes arabes. Ces derniers sont incapables de se réunir face à une crise majeure et offrent maintenant des millions de dollars pour faire oublier leur silence, tandis que la mouvance islamiste chante victoire sur les ruines de Ghaza, démontrant que les uns et les autres ont tourné le dos aux aspirations de leurs peuples à la liberté, à la paix, et aux bienfaits de la démocratie moderne. Mais, comme on le voit en Irak, face au désastre arabe, les USA veulent imposer des remèdes qui sont pires que le mal dont souffrent les Etats arabes, en vouant la région à l'éclatement et à de nouveaux conflits. Bouteflika, qui prétend avoir réhabilité l'Algérie dans le concert des Nations, devrait donc plutôt prendre acte de son échec cuisant lors de la rencontre de Doha et envisager de quitter définitivement les responsabilités, lui qui n'a même pas été capable, en signe de solidarité avec les Palestiniens, d'envisager de retirer les milliards de dollars placés aux USA. L'Algérie ne devrait pas avoir à subir plus longtemps les conséquences négatives d'une orientation qui veut échapper aux nécessités historiques mises à l'ordre du jour à l'échelle nationale, régionale et mondiale.

Le mouvement nationaliste arabe a malheureusement épuisé son potentiel progressiste et, comme en Algérie, les forces porteuses de la rupture démocratique moderne y ont tardé à prendre l'initiative stratégique. Mais il a accompli un travail utile de préparation et d'organisation des peuples pendant une longue époque d'affrontement cruel avec Israël durant laquelle les guerres et les massacres se sont succédé sans relâche pendant 60 ans. Au mouvement démocratique arabe revient, pour conjurer de nouvelles catastrophes, la tâche, aujourd'hui la plus authentiquement anti-impérialiste, d'organiser les forces en vue de la rupture avec l'islamisme et le despotisme dans tout le monde arabe et apporter ainsi la solidarité la plus concrète et la plus pertinente aux forces démocratiques palestiniennes en lutte pour le recouvrement de leur indépendance et l'édification d'un Etat démocratique. Cette tâche doit être menée en liaison avec toutes les forces démocratiques et de progrès dans le monde. Ce mouvement démocratique doit expliquer que c'est la soumission à la logique de mondialisation néolibérale qui donne aux régimes arabes, comme au pouvoir despotique algérien, toute leur force face à leurs sociétés respectives et toute leur faiblesse face à Israël. Et plutôt que de tenter de justifier l'alliance avec l'islamisme en Palestine, au Liban ou en Iran sous-couvert d'anti-impérialisme, après avoir échoué à l'imposer en Algérie, certaines forces démocratiques et de progrès inconséquentes devraient se ressaisir et s'atteler à transformer, dans l'action, la dénonciation de l'agression israélienne en lutte pour le changement démocratique radical. C'est le seul mot d'ordre juste et découlant des conditions de la guerre menée par un pays surarmé et soutenu par la première puissance mondiale qui exerce son droit de veto au Conseil de sécurité. Et, malheureusement, alors que dans la presse elles évoquent, à propos de la situation nationale, un moment de rupture, certaines voix démocrates manquaient lors de l'impressionnante marche qui s'est déroulée à Alger pour dénoncer les crimes israéliens. Plus grave, elles annoncent même le gel de toute leur activité au moment où celle-ci devrait croître. Si les forces démocratiques et de progrès ont commis un ratage en n'étant pas dans les rues d'Alger durant la marche de solidarité avec Ghaza, elles peuvent et elles doivent donner un prolongement à cette première réaction de masse. La presse, quant à elle, ne doit surtout pas se fourvoyer en pensant que l'islamisme est, aujourd'hui, en capacité de récupérer la colère de la société, ni penser que manifester en solidarité avec la Palestine serait une diversion vis-à-vis des luttes immédiates du peuple algérien comme l'écrit un chroniqueur du «Soir d'Algérie». Il est vrai qu'il est ainsi dans la droite ligne éditoriale de ce journal qui aura réussi le tour de force de sortir son édition du 14 janvier sans un mot pour évoquer la situation à Ghaza, alors que les bombardements faisaient rage. Ce qui est, pour le moins, une grave sous-estimation de cette situation et des suites possibles de l'agression israélienne.

Abed Charef a pu, par avance, se satisfaire de l'absence des modernistes dans les dernières marches et écrire, dans «Le Quotidien d'Oran», que «même défait, le Hamas s'en sortira renforcé». En jubilant, dans le même article, devant la faible implantation populaire de la gauche palestinienne, il reproduisait, aussi, un des arguments qui visait à justifier la sujétion à l'islamisme en Algérie où les démocrates et les forces de progrès étaient accusés de tourner le dos à la société. On se rappelle qu'il y a peu, Hocine Belalloufi, dans son essai sur le Grand Moyen-Orient, reprochait déjà aux modernistes algériens de plaquer en Palestine ou au Liban leur vision de l'islamisme algérien. Mais n'était-ce pas lui, plutôt, qui cherchait, chez le Hamas et le Hezbollah, le moyen de relégitimer un projet d'alliance avec l'islamisme? Et ne faisait-il pas ce que faisaient d'ailleurs d'autres réconciliateurs et l'islamisme algérien, à savoir: chercher au plan international un crédit qu'ils avaient perdu au plan national? Ce qu'ils avaient déjà tenté à San Egidio. C'est pourtant une erreur de vouloir découpler entre le Hezbollah ou le Hamas palestinien d'une part et El Qaïda d'autre part, un peu comme on essayait de découpler entre islamistes modérés et islamistes radicaux en Algérie alors que la réalité démontre que c'est toujours impossible dans les conditions de l'affrontement entre modernité et archaïsme. Tant que la rupture démocratique n'est pas accomplie les uns alimentent les autres. C'est pourquoi le GSPC, en alliance avec El Qaïda, a pu commettre des attentats suicide en Algérie en dévoyant la résistance légitime en Irak afin de recruter ses kamikazes. Il faut donc se demander: après tous ces efforts dans le blanchiment de l'islamisme, les réconciliateurs peuvent-ils soutenir que ce n'est de leur part qu'une position tactique, sans rapport avec leur démarche de fond? Mais cette démarche erronée les a mis en défaut de stratégie face à Bouteflika et risque de les entraîner vers des dérives encore plus graves dans leurs alliances internationales.

Alors que les réconciliateurs persistent sur une fausse orientation, une poignée de militants du MDS pouvait, lors de la marche d'Alger, diffuser des milliers de tracts ou scander «Israël houkouma irhabia, Falestine hourra dimocratia» au milieu d'une foule qui lançait aussi bien des «Falestine chouhada», «la khadma, la taouil, n'roho Falestine », que des mots d'ordre qui furent ceux de l'islamisme. Les quelques salafistes ou les militants du MSP qui tentaient d'encadrer les marcheurs étaient en réalité débordés par la spontanéité du flot juvénile. Et un immense hommage doit être rendu à cette jeunesse impétueuse qui aura fait reculer le pouvoir sans se conduire comme les quelques casseurs qu'a pointés du doigt une presse trop avide de sensationnel. Si les démocrates avaient été présents en force ils auraient, d'ailleurs, aidés à éviter les provocations policières et fait s'éteindre les slogans anti-sémites ou appelant au Jihad. Malgré leur absence ce n'est pas pour autant à l'appel d'El-Qaradaoui qu'a répondu la jeunesse algérienne mais à la nécessité de faire face à la «hogra». Depuis la marche d'Alger, de nombreuses marches ont pris leur départ à partir d'autres lieux que les mosquées et certaines se sont déroulées en semaine, sans rapport avec la prière du vendredi.

La première conclusion qui vient à l'esprit c'est que c'est aussi dans une forme de chaos que se reconstitue la solidarité avec la Palestine, un peu comme se construit l'Etat démocratique moderne. On peut d'ailleurs se rappeler qu'au début du mouvement citoyen, en Kabylie, on entendait des « Djeïch, chaab, maak ya Hattab » alors que la nature démocratique de ce mouvement est aujourd'hui incontestable.

De nombreux patriotes et démocrates palestiniens et arabes sentent que les anciens clivages et formes de lutte doivent être impérativement dépassés. C'est pourquoi, en Algérie, les comités de solidarité et les pétitions se multiplient et tentent de contourner les divergences idéologiques qui n'ont plus de pertinence et certaines étiquettes partisanes obsolètes auxquelles renoncent d'ailleurs différentes personnalités. Ce qui se passe à Ghaza est l'occasion de mettre en oeuvre ou de démasquer les véritables alliances nationales et internationales et d'approfondir les recompositions en cours dans la classe politique. Et, encore une fois, le pouvoir algérien qui a l'art de détourner les problématiques et de dévoyer les aspirations les plus justes est le premier à appeler à l'unité des rangs aussi bien en Palestine qu'en Algérie. La réconciliation voilà son maître mot! Le pouvoir qui n'arrive plus à puiser dans l'ambivalence consubstantielle du mouvement de Libération nationale essaie de le faire dans l'ambivalence du projet national arabe alors même que celui-ci est arrivé à une impasse historique.

Ce discours unitaire de la part du pouvoir ne vise, en dernière instance, qu'à tromper la vigilance de l'opinion démocratique pour mieux couvrir une stratégie de survie, fut-ce au prix d'un compromis international avec un segment de l'intégrisme, le Hamas palestinien, le MSP algérien étant largement discrédité au point où une partie du mouvement essaie de se démarquer de la direction actuelle. Combien même y aurait-il de la part de certains milieux au sein du pouvoir, le désir sincère de ne pas prêter flanc à l'instrumentalisation des divisions, et prévenir le pire, ils évitent surtout de faire des choix qui remettent en cause leur position hégémonique. A terme, ils se mettent, quand même, en situation, comme le reste du monde arabe, de devoir faire face au pire, encore une fois, le dos au mur. Le pouvoir algérien comme les autres régimes arabes croit trouver une issue dans un mariage du néo-libéralisme en plein naufrage et de l'islamisme dont le projet est largement condamné. C'est une illusion car il n'apprivoisera pas plus le capital financier mondial qu'il n'a apprivoisé l'islamisme. Il se met seulement au «goût du jour», comme il avait cru le faire en cherchant un compromis avec l'islamisme avant que celui-ci n'impose au pays le choix des armes dans des conditions politiques désastreuses pour la société et l'Etat.

Cette fois la société refuse catégoriquement d'être manipulée et clame que ce n'est pas à genoux qu'elle soutiendra la Palestine. Au moment où la lutte s'universalise la société algérienne, et sa jeunesse en particulier, a réclamé et obtenu le droit de se joindre au vaste mouvement de solidarité mondiale et de faire des marches à Alger. Elle a mis en oeuvre l'orientation la plus juste et refusé l'unité d'appareils à tout prix. Elle a tourné, dans un mouvement rassembleur, sa colère et son indignation aussi bien contre Israël et ses soutiens impérialistes que contre le pouvoir. Et comme le temps des tuteurs est révolu, les partis de l'alliance présidentielle comme l'islamisme auront échoué à mobiliser aussi largement alors que le désir de solidarité est immense et qu'on voit reculer certaines confusions liées à la forme de solidarité obligatoire à laquelle avaient été soumis les Algériens à l'époque du parti unique. Parce qu'elle refuse de donner raison au pouvoir, la société est extrêmement prudente dans l'expression de sa solidarité avec la Palestine, mais elle sait faire preuve aussi de détermination comme l'ont démontré les jeunes marcheurs qui ont bravé l'interdit de Zerhouni. La société a trouvé l'articulation la plus juste entre la lutte en Palestine et la lutte en Algérie, qu'elle n'oppose pas mais lie dans un mouvement dialectique.

Elle ne veut pas que sa solidarité soit instrumentalisée pour un troisième mandat ou pour permettre le retour de l'islamisme qui a mis le pays à feu et à sang et qui maintenant voudrait se prévaloir des victimes de Ghaza.

Le chef du parti des assassins qui souhaitait usurper l'image de Saladin et profiter des appels à l'unité pour jouer le trouble- fête au meeting organisé à la Maison du Peuple par le FLN, le RND et le MSP n'aura pas plus attiré les foules. Il aura juste réussi à faire siffler l'hymne national démontrant qu'il n'est pas concevable que l'intégrisme renonce à sa raison d'être - le projet d'Etat théocratique totalitaire - pour un projet démocratique national, pas plus en Algérie qu'en Palestine. L'islamisme continuera à espérer que les contradictions du pouvoir lui feront bénéficier d'un mouvement de balancier dans l'état d'esprit de la population, surtout si la situation venait à s'aggraver. C'est pourquoi on a vu l'ancien leader islamiste errant au quatre coins de l'Algérie pour tenter de récupérer les manifestations auxquelles appelaient différentes organisations plus ou moins proches du pouvoir, y compris le soi-disant parti des travailleurs. Il répond à sa manière aux appels à l'unité sans principe et démasque ainsi ce qui le lie encore à un pouvoir qui conserve toujours une part d'hybridité parce qu'il veut se placer au-dessus des contradictions et éluder le choix entre projet d'Etat théocratique et projet d'Etat démocratique moderne. Or si le pouvoir n'entreprend, ni n'indique la moindre démarche pour dépasser les divisions dans les rangs palestiniens, il faut voir dans sa pratique despotique la solution qu'il propose, c'est-à-dire nier sa propre responsabilité, voire le conflit lui-même, qu'il soit entre Algériens ou entre Palestiniens. C'est pourquoi il est d'autant plus important d'élucider la question des origines des divisions, des conditions qui les ont favorisées et des moyens de les combattre. Il faut se demander pourquoi les négociateurs d'Oslo ou la direction de la première intifada, durant laquelle des enfants armés de pierres avaient fait reculer la cinquième armée du monde obligeant, pour la première fois, Israël à s'asseoir à la table des négociations avec des Palestiniens, alors que les armées arabes ont échoué en 1967 et 1973, ont su éviter les divisions de la résistance palestinienne malgré toutes les manoeuvres israéliennes visant à opposer les uns et les autres à l'OLP? Et il faut aussi s'interroger pourquoi, aujourd'hui, le Hamas et le Fatah font objectivement le jeu d'Israël, en opposant la voie diplomatique et la voie des armes, en se soumettant les uns la Cisjordanie par les urnes et les autres Ghaza par les armes? Au final leur désir d'hégémonie, sur une base anti-démocratique et au détriment de la cause commune, permet à Israël de dire qu'il n'y a pas d'interlocuteur palestinien. Les divisions contribuent objectivement à renforcer la politique israélienne qui vise à retarder l'indépendance de la Palestine, empêcher sa continuité territoriale et contrarier le développement des luttes populaires comme celles menées par ceux qui se battent contre la construction du mur de séparation en Cisjordanie ou qui réclament le droit au retour.

La guerre, préparée durant de longs mois par le gouvernement israélien et certainement prévue par le Hamas et même le Fatah, a éclaté alors que tout ce monde voyait approcher la fin de la trêve adoptée par le mouvement de Mechâal et sans qu'aucun des protagonistes n'ait songé à vraiment tout faire pour épargner la population civile. Le blocus criminel, l'accumulation des armements, l'exacerbation de la lutte pour le contrôle des territoires, de leurs populations et de leurs ressources, les échéances électorales anticipées convoquées par les uns et les autres pour mettre en place des cabinets de guerre ou d'union nationale, la volonté de détourner l'attention des crises politiques intérieures, la crise financière mondiale qui s'étend et s'approfondit, la fin du mandat de l'administration Bush, les intérêts des monarchies les plus arriérées, celles du Moyen-Orient, qui après avoir exporté leur pétrole vers les USA y investissent massivement leurs capitaux, l'acharnement à affaiblir le mouvement démocratique devaient inévitablement aboutir et ont abouti à ruiner et décimer Ghaza. Les patriotes et démocrates algériens sont tenus de dévoiler la véritable signification de la guerre et de dénoncer implacablement les mensonges israéliens ainsi que les menaces qu'ils portent, la faillite des régimes arabes et les appels au Jihad que répandent en faveur de la guerre ceux dont les intérêts ne peuvent rester hégémoniques qu'en réduisant à néant les luttes démocratiques et populaires: les courants bellicistes israéliens et américains qui sont le bras armé d'une mondialisation néolibérale aussi bien que les milieux arabes capitulards et que les islamistes effrayés par l'idée d'une Palestine indépendante démocratique et laïque qui aurait pour capitale El-Qods, dont ils s'accommodent, d'une certaine manière, qu'elle reste un troisième lieu saint de l'Islam ... sous occupation.

La conjonction des intérêts de ces différentes forces peut mener au pire. Israël n'a jamais fait la guerre que pour préparer une autre guerre. Déjà en 2006, sous prétexte de libérer un soldat israélien fait prisonnier, une attaque contre Ghaza avait précédé la guerre contre le Liban. On peut donc légitimement voir se profiler le spectre d'un embrasement. L'argument invoqué par le porte-parole israélien qui estime qu'après l'échec face au Hezbollah libanais, il est nécessaire pour son gouvernement de faire renaître la crainte de représailles massives contre tous ceux qui menaceraient Israël, laisse redouter une guerre effroyable contre l'Iran. Si les quelques roquettes lancées par le Hamas sont un prétexte pour invoquer la légitime défense on peut craindre que la menace, sans cesse brandie par Israël et l'Occident, de voir l'Iran se doter d'ici peu de l'arme nucléaire ne soit une justification pour une nouvelle aventure belliqueuse, d'autant plus que le président Mahmoud Ahmadinejad les conforte en continuant à promettre la destruction d'Israël. En octobre 2007, en référence aux multiples appels des dirigeants iraniens à «rayer Israël de la carte», le président Bush avait dit que si les gens «voulaient éviter une Troisième guerre mondiale, il semble qu'ils devraient se demander comment empêcher les Iraniens d'acquérir les connaissances nécessaires pour fabriquer une arme nucléaire». Comme partout des bruits de bottes se font entendre, on peut craindre qu'on ne se dirige vers l'irréparable. Des armadas américaines sont installées dans toute la région et de nouveaux contingents sont envoyés en Afghanistan, des navires chinois sont déjà dans le golfe d'Aden, des navires russes sont en Méditerranée et en Amérique latine, des armées sont massées à la frontière indo-pakistanaise et même le Maroc qui a annoncé la fermeture de son ambassade au Venezuela pour protester contre le soutien de Caracas au Front Polisario, déplace de nouvelles troupes au Sahara Occidental, ce à quoi l'Algérie ne manquera pas de répondre, pour exprimer son inquiétude dans une forme ou une autre.

Dans notre pays, il serait alors difficile d'imaginer ce qu'il adviendrait dans le cas où s'opérerait la jonction entre une conflagration au retentissement régional, si ce n'est mondial, et l'éclatement, forcément spontané et débridé du mouvement social, citoyen et politique actuel qui déjà s'oppose aux orientations du pouvoir. Mais il est sûr que si la guerre s'étendait, le pouvoir algérien serait alors, comme tous les autres pouvoirs arabes, sur un volcan.




* Membre du Mouvement Démocratique et Social