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Rachel Corrie, 20 ans après

par Amine Bouali

Moi, Rachel Corrie, je suis née le 10 avril 1979 à Olympia (État de Washington) dans cette Amérique sûre d'elle-même et dominatrice dans laquelle je ne me suis jamais reconnue. Je faisais alors des études en arts plastiques à l'université et j'étais membre de l'International Solidarity Movement (ISM), une ONG pacifiste qui prônait la non-violence et soutenait la lutte de libération du peuple palestinien. En mars 2003, j'avais décidé de consacrer une année sabbatique à l'entraide sur le terrain et je suis partie pour Gaza, avec huit de mes camarades, pour organiser un jumelage entre ma ville natale d'Olympia et la ville palestinienne de Rafah, et dénoncer les violations des droits de l'homme commises par l'Etat inique d'Israël.

Je ne sais toujours pas par quel miracle j'avais échappé jusque-là au joug d'une opinion publique largement influencée par les médias occidentaux mainstream qui soutiennent à longueur de temps qu'Israël est un «bon choix», un «bon client» et la Palestine un «mauvais». Pourtant, jusqu'à mon adolescence, je ne pouvais même pas situer ce pays sur une carte géographique, mais j'ai fini par comprendre le sort dramatique réservé à son peuple et par épouser sa cause. Moi, Rachel Corrie, je n'ai jamais supporté les crimes perpétrés dans le silence complice et intéressé des puissants de ce monde.

Aussi, lorsque ce dimanche 16 mars 2003, je suis allée manifester pacifiquement à Rafah, vêtue d'une veste orange, un mégaphone à la main, pour empêcher la démolition de la maison d'un médecin palestinien, je savais au fond de moi qu'il ne fallait pas compter sur la pitié de ce soldat israélien conduisant un bulldozer qui s'est avancé vers moi et a commencé à pousser la terre sous mes pieds jusqu'à ce que je trébuche et me retrouve ensevelie et écrasée sous sa pelle. Allez voir sur Internet la photo de mon corps brisé et sans vie ! Je n'avais pas encore 24 ans.

En août 2012, neuf ans après ma mort, un tribunal israélien a blanchi le conducteur du bulldozer et l'Etat peu scrupuleux qu'il servait. Le juge a estimé que j'étais la seule responsable de ce qui m'étais arrivé, un assassinat qu'il a qualifié d' «incident regrettable», mais pour la population de Gaza, j'étais une martyre et elle m'a pleuré comme une de ses enfants. Plusieurs centres culturels en terre de Palestine portent mon nom. Aujourd'hui, deux décennies se sont écoulées depuis mon décès tragique, et l'occupation israélienne et les violations des droits de l'homme à l'encontre des Palestiniens se poursuivent et Israël n'a été condamné ni pour m'avoir ôté la vie ni pour les crimes qu'il commet encore, chaque jour, contre le peuple palestinien. Moi, Rachel Corrie, là-haut dans le ciel, je témoignerai par mon sang et mes larmes, jusqu'à la fin des temps.