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LES STAT': TOUT, MAIS PAS L'ESSENTIEL

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a affirmé mardi 28 février 2023, lors des Assises nationales de l'Agriculture, à Alger, que la puissance économique d'un Etat était sous-tendue de chiffres et de statistiques précis et réels, loin des données approximatives. Il a évoqué, dans ce cadre, «les disparités et l'incohérence» des chiffres publiés ces dernières années concernant les ressources agricoles nationales, notamment pour ce qui est du cheptel et des surfaces cultivées chaque saison.

«Les chiffres avancés concernant la production agricole étaient les mêmes pendant des dizaines d'années, des chiffres qui ne reflétaient point la réalité», a-t-il déploré, citant pour exemple «la superficie des terres cultivées à travers le pays évaluée, alors, à 3 millions d'hectares, mais les enquêtes menées dans le cadre de la numérisation, ont démontré que ce chiffre ne dépassait pas 1,8 million d'hectares, ce qui signifie qu'il y a encore des terres arables non exploitées».

Le Président Tebboune a indiqué, dans le même sillage, que le recensement du cheptel a fait ressortir que l'Algérie disposait de 19 millions de têtes ovines «et non pas de 23 millions, encore moins de 29 millions d'après les anciennes statistiques», rappelant que les statistiques précises facilitaient la planification, l'investissement, la production et une bonne régulation de l'importation.

Brr ! Froid dans le dos. Six décennies après l'indépendance, et, bien souvent, avec des ministres gestionnaires du secteur de qualité et avec la formation de centaines sinon de milliers d'agronomes, de statisticiens, d'économistes, etc... voilà que l'on se retrouve brutalement confronté à la réalité surprenante des chiffres. Il y a donc quelque chose de «déphasé» (pour ne pas dire plus!) dans le secteur. Un déphasage tragique, les différences entre les chiffres «officiels» auparavant publiés et ceux fournis par le premier magistrat du pays étant (très) importantes. Le drame c'est, peut-être (ne l'espérons pas!), que ce «déphasage» (pour ne pas dire plus!) concerne, mis à part quelques «niches» bien entretenues, bien d'autres secteurs.

Bien sûr, il y a des problèmes de moyens humains et matériels, d' (in-)organisation et de gestion quotidienne, d'une gestion délicate des capitaux (dont la terre et ses produits) encore en bonne partie traditionnelle, de bureaucratie, de freins sociétaux (dont une indivision castratrice). Bien sûr, bien sûr.

A mon humble avis (bien que j'ai fréquenté, dans d'autres vies, assez longtemps, les statistiques de l'Information et de la Culture ), et cela concerne pas mal de secteurs, bien de nos décideurs-»gestionnaires» ont un véritable gros problème avec les chiffres, colonne vertébrale de l'information économique (entre autres), elle-même colonne vertébrale de toute analyse économique et du développement. Que l'on a, peut-être, et ce depuis l'Indépendance, trop rapidement confondue avec l'information sécuritaire (même en matière d'information publique par la presse, ce qui a freiné la transparence) ce qui a, peut-être, retardé la mémorisation (archivage et documentation) et, aujourd'hui la numérisation. Donc, au final, on peut «cacher tout et ne pas montrer l'essentiel» selon une formule consacrée chez les statisticiens. Ajoutez-y l'inévitable et hélas, habituelle » caresse dans le sens des poils»: Un comportement autoritariste, pour ne pas dire plus. Chez nous bien plus individuel que systémique, ce qui rend la lutte bien plus difficile. Un comportement largement dépassé par les effets de la mondialisation-globalisation-libéralisation des économies.



Ps: Du temps de l'économie planifiée, feu le Président H. Boumediene s'était, dit-on, fortement inquiété au vu des chaînes interminables pour s'approvisionner en semoule, pain, huile, etc alors que tout avait été fait -sur la base des statistiques officielles - pour fournir le marché national en produits de base . En fait, on s'est aperçu plus tard, trop tard, de la cause du hiatus: les statistiques officielles, fruits de projections, concernant la population algérienne de l'époque étaient bien en deça de la réalité, d'où le déphasage entre l'offre et la demande. Vrai ou faux? Fake news de l'époque ? Qui sait!