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Le pain dur et la dent aigue !

par Abed Cherifi

Où «nicher» un Algérien, en chair et en os, qui bosse au sens stakhanoviste) l du terme ? Comment expliquer que l'Algérie soit, plus de 60 pans après le départ du dernier roumi exploiteur un pays où tout le monde se gave l'estomac, achète une bagnole, travaille moins de quatorze minutes par jour, et meurt après s'être reposé toute sa vie, Miracle divin : le pays tient debout et ne coule pas sous le poids écrasant de ses 45 millions de bouches ouvertes... aux quatre chances ? Dépersonnalisé jusqu'à... la moelle, le travailleur algérien n'est pas comme ses camarades du monde d'ailleurs : il reçoit sa solde un mois avant d'avoir goûté au fruit gratuit de son labeur inaccompli, et claque sa prime de rendement une année avant de voir sa boîte « banqueroutée ».

Selon une théorie algéro-algérienne, le travailleur de chez nous fait semblant de retrousser les manches lorsqu'on fait semblant de le payer.

Il veut donner l'impression trop fausse de trimer à la tâche, pas pour améliorer le BNC (Bonheur national collectif), mais pour lutter contre l'ennui sidérant, le vice dévorant et le besoin irrépressible de marcher sur la lune sans jamais laisser de trace... Et parce que le travail était, à l'origine des temps, un accident de la vie, avant de changer de «statut particulier», pour devenir une maladie chronique, il est peut-être plus glorieux de mourir d'épuisement que d'ennui dans un pays où tout le monde a le sentiment tenace de jouer le beau rôle de combattant en carton-pâte, à courir, les jambes cisaillées, après un destin détourné... Aussi vrai qu'il vous suffit de choisir un boulot que vous aimez, et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ! Et comme le pain n'est pas mangé de la même manière par tous, il y a ceux qui l'ont sur la planche et assis à la même table que ceux qui le préfèrent cru. Il y a, aussi, ceux qui ont le pain certes dur mais la dent aiguë.

Juste en face de ces « khobzistes », pas comme les autres, il y a ceux qui ont les mains si noires qu'ils ne se rendent même pas compte qu'ils mangent du pain trop blanc et ceux qui dévorent leur blé sous le paletot. A tous ceux-là, la seule façon d'expier leur douze péchés capitaux, impossible à «laver», c'est de se placer à égale distance entre l'interdit et le haram, c'est-à-dire observer une grève du pain douze mois sur douze pour s'excuser de nous avoir fait prendre leurs pieds nickelés pour... des mains baladeuses.

En attendant, le peuple d'en bas en est encore à attendre de finir avec le mois du grand sommeil !