Lorsqu'un savant ou un artiste se met à sa table de travail, il ne sait jamais à l'avance comment celui-ci va évoluer. Souvent, au début, c'est laborieux, il hésite, peine à mettre ses idées en place. Comme un coureur de fond, il a besoin de se « chauffer » avant d'atteindre sa vitesse de croisière. Puis il y a un moment où ça se débloque, sans qu'il sache ni comment ni pourquoi. Alors, soudain, la magie opère et il est emporté par la vague.

L'être humain n'utilise jamais la totalité des capacités de son cerveau qui varient, bien entendu, d'un individu à l'autre. La plupart du temps, son esprit est réduit à fonctionner à basse ou moyenne intensité. Mais parfois il peut faire l'expérience de ce qu'on décrit en sport comme « l'ivresse du marathonien ». Les scientifiques expliquent cela très bien : après un effort intense, notre cerveau libère des endorphines dont les effets se rapprochent de la morphine utilisée, habituellement, comme médicament contre la douleur. Le sportif peut alors ressentir une sensation de bien-être, voire même d'euphorie. Mais également le savant ou l'artiste, dans son domaine.

Ce sont-là des moments privilégiés où l'être humain donne le sentiment d'être plus performant et plus créatif qu'à l'ordinaire, où son cerveau fonctionne à très haute tension, un cran (ou plusieurs crans) au-dessus de ses capacités habituelles. Ce fonctionnement de l'esprit à haut voltage, c'est peut-être l'instant où l'homme donne le meilleur de lui-même et fait naître ce qu'il y a de plus beau et de plus grandiose sur terre, l'instant où, par exemple, Dante écrit la Divine Comédie, où Pasteur invente le vaccin contre la rage, où Bach compose sa musique, où Léonard de Vinci peint ses toiles, c'est l'instant-Civilisation.

Dans l'histoire de l'Humanité, les moments où l'être humain atteint le génie sont relativement peu nombreux mais ils constituent le sublime de cette terre. Ce sont les instants-Civilisation ! Ce sont les moments où l'homme gravit jusqu'aux cimes de lui-même, où - beaucoup plus prosaïquement- le cerveau humain carbure un «cran-au-dessus» de ses capacités ordinaires.