Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Covid-19: au-delà d'un chiffre, une vie !

par Belkacem Ahcène Djaballah

Depuis le début de la pandémie du coronavirus, en matière de communication, on ne peut pas dire que le gouvernement n'a pas beaucoup fait pour informer et sensibiliser la population. Chaque jour, donc, un bilan nous est publiquement fourni par le désormais bien connu Conseil scientifique. Il est vrai que les médecins et les personnels soignants ne sont connus et appréciés que lors des crises sanitaires. La toute dernière (une pandémie ravageuse) a battu toutes les autres à plate couture.

Hélas, nous nous sommes retrouvés littéralement inondés de chiffres. Des millions de contaminés à travers le monde, plusieurs milliers chez nous. Des centaines de milliers de décédés à travers le monde et des centaines chez nous. Et pourtant, malgré tous les efforts et les appels à respecter les règles sanitaires élémentaires pour contrer ou éviter le virus assassin, il y a, çà et là, à travers le monde, des groupes ou /et des individus qui persistent soit à nier l'existence ou la dangerosité du virus, soit à se croire supérieur face au danger, soit à se réfugier derrière on ne sait quelle invocation religieuse... Tous ces comportements ont été (in-)volontairement encouragés par une manière de faire de la communication moderne certainement trop digitalisée. Des algorithmes, des statistiques, des chiffres et encore des chiffres et des combats de «chiffonniers» sur les médications à apporter pour éliminer le mal.

Parallèlement à cela, ajoutez-y le «confinement»: une circulation des hommes réduite au strict minimum» par des «états d'urgence sanitaires» plus ou moins rigoureux, des contacts interpersonnels limités par la «bavette» et la «distance sociale». Un confinement mal ou très mal accepté par des populations en butte aux difficultés économiques de plus en plus nombreuses. Ceci est aggravé par le fait que les chiffres diffusés ne disent pas tout de la maladie et de ses dégâts. Et, surtout, du malade et du «décédé». Les enterrements sont à éviter. Plus de troisième jour et de réunion de famille et d'amis pour faire son deuil. Bien souvent on ne sait même pas qui est contaminé, qui est hospitalisé, qui est décédé. Plus tard.

Encore un futur traumatisme (comme pour l'après-terrorisme !) Pour réussir sa campagne de sensibilisation, il fallait (et il faut) donc revenir aux fondamentaux de la communication (je ne parle pas de la prévention qui a ses méthodes, et ses moyens) : ramener l'être humain au centre de la problématique. Sans ignorer le chiffre, il faut rappeler l'homme. Non seulement celui qui aide à sauver des vies mais aussi celui qui vient de mourir, le grand oublié, actuellement. Et, c'est là le rôle de la presse, tout particulièrement la presse écrite locale et régionale ou même nationale par la publication de reportages ou de comptes tendus rapportant des décès, des douleurs. Avec l'accord des proches, cela s'entend ! Il est vrai que la tâche est bien plus difficile chez nous, société faite de bruits, de fureurs mais aussi de discrétion et de pudeur, et contre les étalages de l'infortune et de la faiblesse. Mais nécessité doit faire loi ! Il faut en quelque sorte «remuer le couteau dans la plaie». Comme par hasard, au pays des «pragmatiques», on vient de s'en apercevoir? après 100.000 morts. Ainsi, le quotidien New York Times a consacré dernièrement (samedi 23 mai, aux noms de 1.000 victimes du coronavirus aux Etats-Unis.» Ils n'étaient pas que des noms sur une liste», a ainsi tenu à rappeler le quotidien américain. L'objectif ? Montrer que derrière les statistiques et bilans de l'épidémie égrenées chaque soir par les autorités, il y a des vies. «Les 1.000 personnes sur cette page représentent 1% du bilan. Aucune n'était qu'un chiffre», soulignent les journalistes. «Je voulais quelque chose que les gens puissent relire dans 100 ans pour comprendre le poids de ce que nous traversons», a expliqué le rédacteur en chef national du journal.

A la suite du nom, de l'âge et de la ville d'origine de la victime, est ajouté un élément sur la vie de la personne, qui raconte aussi, quelque chose de l'histoire du pays:

«Michael Mika, 73 ans, Chicago, vétéran de la guerre du Vietnam. (...) Kyra Swartz, 33 ans, New York, bénévole dans une association d'aide aux animaux abandonnés. (...) Black N Mild, 44 ans, Nouvelle-Orléans, D.J. et personnalité de la radio. Albert Petrocelli, 73 ans, New York, chef des pompiers qui a répondu lors de l'appel du 11 septembre 2001.»

La diversité des âges comme des lieux montre aussi que la pandémie n'épargne désormais aucune catégorie aux Etats-Unis.

Chez nous, aussi !

Morale de l'histoire : méthode journalistique à suivre sauf si on estime que, chez nous, la vie humaine - sur terre - n'est rien.

Et, pour finir, une phrase à méditer: «Ce qui tue, ce n'est pas la mort. C'est la vie coupée sans annonce» (Eugène Ebodé, «Madame l'Afrique». Roman © Apic Editions, Alger 2010).