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La solitude d'un harrag dans le marigot des caïmans

par El-Houari Dilmi

C'est là l'histoire de Zakaria qui a vécu sa vie de gredin insouciant en passant le temps à regarder la vie s'offrir à lui par la vitre translucide d'un aquarium à poissons multicolores. Jusqu'à l'âge de déraison, où le prit à la gorge l'envie de boire la tasse sans jamais étancher sa soif de (sur)vivre. Coincé entre un jour sans pain et une nuit sans grabat, Zakaria regarde le stylo le prendre de vitesse et la vie lui filer entre les doigts. Jusqu'au jour où il embarqua sur une grande voile fripée, la toison aux quatre vents. Pour se pourlécher la peau de caresses urticantes, Zakaria fera connaissance avec une méduse au cri de sirène. Son premier divorce d'avec la vie, Zakaria le fera avec la prodigalité liquide dans laquelle il ne s'est jamais mouillé ni les doigts de la main gauche, ni le petit doigt du pied droit, ni même un traître cheveu sur sa tête de turc. A la surface de l'eau, Zakaria observe, songeur, la houle qui ne joue pas à divertir les vagues. Derrière le dos rond de Zakaria, se cache un requin omnivore. Ce dernier, se glissant sous une salopette en bois vermoulu d'un cheval de Troie, offre à Zakaria un aller sans retour à destination du pays de cocagne. Et en voulant escalader ce qu'il croyait être un mât de cocagne, Zakaria se retrouva perché sur les cimes envenimées d'un gibet de potence au sommet duquel il sera scalpé vif. Coincé dans l'œsophage de l'homme-squale, Zakaria est traîné loin au large de toutes les causes perdues à la rencontre de l'île promise. Solitaire comme Moïse face à la mer Rouge, Zakaria monte sur le creux des vagues pour crier son amour à sa famille laissée de l'autre côté de la vie d'ici-bas. Dans un face-à-face fatal avec l'homme-squale, Zakaria, dans son épique traversée vers l'Eldorado tueur de pauvres gens, est soumis à l'épreuve terrible de la roulette russe. Ratant d'un cil de se faire arracher le bourrichon par une murène affamée, Zakaria est vite tiré hors de l'eau par l'homme-squale qui le cacha aussitôt dans l'estomac d'un orque en colère. Happé ensuite par un cétacé friand de chair tendre, Zakaria est tiré par la langue avec deux bras et une jambe sectionnés. Et l'homme-squale tira d'affaire Zakaria pour le faire marcher sur l'eau sans jamais laisser de traces ni échapper une seule bulle. Arrivé à mille lieues du rivage de tous les pièges, Zakaria fit la rencontre impromptue avec une pieuvre qui l'enlaça jusqu'à l'étouffement, avant de lui seriner à l'oreille que les voies de la mer sont inviolables.

Au sommet d'une vague ellipsoïdale, l'homme-squale, charogne à ses heures libres, surgit pour réclamer encore et toujours des sous mouillés à Zakaria, transformé en homme-tronc. Buvant l'océan par rasades entières, seule la tête de Zakaria sera retrouvée, la bouche obstruée avec un bâillon en plastique, dans le ventre creux d'un squale repu rôdant près du marigot des caïmans. Dans un dernier râle avant de couler droit vers les profondeurs abyssales de la mer traîtresse, Zakaria, le naufragé, ne manqua pas de braquer son œil embué à l'adresse de l'homme-squale venu embrasser très fort la gueule béante du requin en col blanc, converti plus tard en un passeur aux mâchoires en béton surarmé.