Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le spleen du professeur avant la retraite

par Amine Bouali

Il paraissait un peu fatigué et pour cause, il n'a pas pris de vacances cet été, à part quelques escapades à la plage et de longues siestes à la maison. Depuis une douzaine de jours, le temps qu'il passe à l'université est occupé par les examens de rattrapage et les corrections. Mais à peine revenu au boulot, il n'arrête pas de penser à la retraite. Cela fait 38 ans exactement qu'il a rejoint l'enseignement supérieur, d'abord comme maître-assistant puis gravissant tous les échelons jusqu'au rang de professeur. Regrette-t-il aujourd'hui d'avoir choisi un tel métier casse-tête ? Il ne sait pas trop.

Tous les métiers se valent, mais dans ce pays, ils ont tous, pratiquement, été dévalorisés, subi les conséquences du laisser-aller général. L'université ne va pas bien, mais demain, qu'à Dieu ne plaise, cela pourrait être pire.

Il essaie d'expliquer les raisons de ce qu'il hésite à appeler crûment une régression, ne veut pas dire non plus du mal de ses collègues mais avoue à demi-mot que «certains enseignants universitaires ne lisent même pas un livre par an alors qu'ils sont supposés être la crème de ce pays, que les diplômes des étudiants sont bradés et qu'à peine 20 à 30% sont mérités véritablement. Pour avoir la paix, gonfler les statistiques, pouvoir dormir tranquillement, on a menti, triché, construit sur du sable».

Il pense que la dégringolade à l'université a commencé au début des années 2000. «Avant, ce n'était pas très brillant, mais le LMD a donné le coup de grâce». Il précise que personne, en particulier, n'est coupable et que c'est tout un système qui est responsable, qui contribue «à reproduire la lacune. Pourquoi voulez-vous que dans l'enseignement supérieur, ça marche, alors que partout ailleurs, cela ne vole pas très haut ?»

Dans son laboratoire à l'université, il continue de faire de la recherche appliquée, mais gaspille beaucoup moins ses neurones depuis qu'un ex-ministre a déclaré que l'Algérie n'a pas besoin de prix Nobel (il reconnaît, quant à lui, que son ambition personnelle n'est jamais allée aussi loin). Pour le plaisir et pour rester zen, il imagine parfois des plans pépères en ce qui concerne sa retraite prochaine. Qui sait ? Il ouvrira peut-être un petit commerce pour mettre du beurre dans les épinards et faire une virée de temps à autre à Paris afin d'oublier tous les tracas du bled.