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Hadj Omar, le vieil homme et le ciel

par Amine Bouali

Hadj Omar dépasse aujourd'hui les 92 ans. Il ne sort plus désormais de chez lui que pour aller à la mosquée, accueillant à chaque fois par un mot réconfortant tous ceux qui viennent le saluer ou solliciter sa bénédiction. Le vieil homme marche d'un pas paisible, cédant volontiers le passage à tous ces gens apparemment pressés qui le bousculent tout en s'excusant. Lui sait, depuis toujours, que personne dans la vie ne vole impunément la place d'un autre et que le sage sait attendre son tour, patiemment.

Jadis, dans une autre vie, il a exercé le métier de barbier et, comme beaucoup d'artisans de son époque, il avait un jardin secret qu'il cultivait avec ferveur : l'irrésistible soif d'apprendre. Dans son petit salon de coiffeur, il a finalement occupé plus son temps à lire le Coran qu'à manier le peigne et les ciseaux. D'où vient cet appel intérieur mystérieux qui pousse un homme, d'apparence ordinaire, à presque tout sacrifier pour aller chercher sa voie hors des sentiers battus ? Hadj Omar parle peu de ce qu'il a appris dans les livres et dans la vie. Ceux qui le connaissent témoignent de sa grande érudition littéraire et théologique et envient sa belle bibliothèque qu'il a enrichie au fil des découvertes et des passions.

A la mosquée, il a, avec le temps, choisi la place qui lui convenait le mieux, adossé à un pilier, au fond de l'allée centrale, loin des regards et des postures. Je me dis parfois que cet homme, à force d'endurance et de méditation, s'est constitué, au plus profond de lui-même, un socle plus solide que l'acier et plus précieux que l'or. Hadj Omar a perdu la mère de ses enfants, il y a une vingtaine d'années, le plus jeune de ses fils, il y a quelques mois, et peut-être qu'aujourd'hui, il ne se sent plus chez lui que dans ses souvenirs. Mais quand le Seigneur reprend ce qu'Il a donné, Il n'appauvrit pas pour autant.