Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Forêts à l'abandon

par Yazid Alilat

La propension et la vitesse de propagation des terribles incendies de forêt au cours de ces deux dernières semaines, qui ont embrasé le pays, étonne et laisse perplexe. Au cours de ce week-end, les Constantinois, les Khroubis ou les M'lilis, tout comme les Blidéens ou les Chelifois ont vécu un véritable cauchemar, avec à la clé un décès et des habitations mangées par le feu. Cela devient inquiétant, d'autant que les dommages collatéraux des incendies de forêt sont énormes, et affectent autant la santé des habitants des zones touchées que l'économie nationale. Et, au milieu de cette dramatique situation, avec la perte d'autres dizaines de milliers d'hectares d'essences forestières nobles, une polémique surréelle est alimentée via les réseaux sociaux sur les raisons de ces incendies, liées selon beaucoup à la maffia du charbon de bois, à celle du foncier, selon un conservateur des forêts. Et, comme le débat sur la protection et la gestion des parcs forestiers n'a jamais vraiment existé, que les conservations forestières n'ont jamais fait le moindre geste pour se donner plus de visibilité, on en arrive fatalement à des rumeurs effrayantes, comme celle qui voudrait que ces incendies sont provoqués par les revendeurs de charbon, qui brûlent des forêts entières pour ensuite se servir directement sur le bois mort.

Cette ineptie a bien circulé sur les réseaux sociaux, et tout le monde a vite fait de faire le parallèle avec l'approche de l'Aïd El-Kébir, la fête annuelle du sacrifice, une période propice pour les revendeurs de charbon de bois. Les coupables de ces dantesques incendies de forêt étant désignés, il ne restait donc aux services de sécurité qu'à aller cueillir les pyromanes. Sauf que de pyromanes, il n'y en a pas jusqu'à preuve du contraire, et qu'aucune arrestation n'a été faite, car on ne fabrique pas du charbon à partir des arbres brûlés, le procédé étant autre. Et donc, la question kafkaïenne reste la même: qui a intérêt à brûler nos forêts ? A la vérité, en cette période de canicule, et sans prendre le rôle d'un Sherlock Holmes, les départs de feu peuvent être provoqués par ces mégots jetés des voitures, des bouteilles et de ces canettes de soda ou d'autres boissons, laissées en bordure de forêts par des estivants ou des familles à la recherche de fraîcheur. Pour autant, les premiers responsables de cette catastrophe et cette perte dramatique de dizaines de milliers d'hectares de différentes essences sylvestres, ce sont bien les pouvoirs publics. D'abord, tout le monde s'étonne et se pose la question de savoir pourquoi, et devant le danger imminent d'une catastrophe nationale, l'Etat tarde à mettre en place le plan ORSEC dans les wilayas concernées par ces incendies, et dégager les grands moyens, comme la colonne mobile de la protection civile, pour mettre en place un système de défense pour prévenir les feux de forêt. Sur un autre registre, les difficultés d'accès des équipes de secours aux zones sinistrées, signalées par la protection civile et les gardes forestiers, attestent clairement que certains travaux routiniers, le métier des forestiers, n'ont pas été réalisés depuis quelques années: la réalisation de tranchées pare-feu, pour éviter la propagation du feu sur de longues distances, la réhabilitation et la réalisation de nouvelles pistes forestières, outre les postes de vigie et les points d'eau. C'est cela la vraie question, qui doit être posée aux responsables du secteur.