Récemment, dans une autoroute berlinoise, où souvent de
terribles embouteillages se produisent, un tagueur de génie avait inscrit sur
un pont la formule suivante : «Détrompe-toi, tu n'es pas dans un embouteillage,
l'embouteillage c'est toi.» Quiconque parmi mes compatriotes lira un pareil
tag, sera rapidement tenté de le calquer sur cette élite, la nôtre, qui se
plaint tout le temps d'un peuple qui, prétendument, veut la mener droit vers la
crise, alors qu'elle est la crise elle-même. Le nœud de nos problèmes n'est-il
pas, au demeurant, la conséquence de ses négligences, de sa corruption et de
son irresponsabilité dans la gestion des affaires du pays?
Dans un fameux discours à Guelma, Bouteflika, titillant comme à son accoutumée
la dignité et l'honneur des Algériens, aurait répété plusieurs fois à un vieux
qui l'avait interpellé sur la dégradation des conditions de vie au pays : «arfâa rassek ya
bâ» (relève ta tête mon père), pour signifier que
l'Algérie sortira, coûte que coûte, victorieuse de la période du terrorisme et
qu'elle redorera son blason au concert des nations. Au bout de vingt ans de
règne sans partage, le concerné a emprunté le chemin inverse. Autrement dit, il
a fait baisser la tête à tous les Algériens, au point que certains d'entre eux
n'ont pas hésité, par désespoir sans doute, à comparer l'Algérie à un géant
fauteuil roulant. Sorte de patrie abandonnée, sans pieds, sans tête, sans
boussole, jetée en offrande aux rapaces sans scrupules. Un pays immobile, voire
en agonie, où la loi de «tag ala men tag» sert de
ligne de conduite, en haut comme en bas de la pyramide, où le clanisme, le
clientélisme et le régionalisme se tiennent la main, où rien ne marche comme il
le faut. C'est de toutes ces bavures que l'ancien clan au pouvoir devrait
répondre aujourd'hui devant les quarante millions d'Algériens en colère. Le
pourrissement de la situation dans les administrations publiques, les
institutions d'État, les écoles et les universités, c'est son fait. Ce
pourrissement est tel que toute refonte sérieuse risque de prendre des années,
voire des décennies entières. L'urgence c'est d'agir, mais comment le faire
quand on sait que les décideurs ne semblent pas convaincus de la nécessité de
passer le flambeau au peuple, à la jeunesse ? Voilà le gros problème!
L'institution militaire devrait lâcher du lest et céder le pouvoir au mouvement
populaire afin de pouvoir combler ces failles à temps. Le diagnostic du corps
malade est déjà fait, il va falloir maintenant administrer le traitement et
commencer à panser les blessures du peuple. Le besoin pressant d'institutions
valides qui ne souscrivent qu'à la logique d'un État de droit fort se fait
sentir dans les clameurs et les cris de détresse que lancent les Algériens
pendant les manifestations.