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Les pénalités de retard

par Kamal Guerroua

Unir plutôt que diviser, manifester chaque vendredi pour reconstruire la citadelle de la nation et la préserver de tous les dangers, instaurer les lois de la démocratie, aiguiser la conscience citoyenne, faciliter les échanges qui nourriront l'entente entre les enfants de la même patrie, voilà le programme qui enthousiasme aujourd'hui cette optimiste et combattante Algérie. C'est avec cette magnifique constance que la rue a pu déboulonner les rentiers scotchés à leurs postes et leurs privilèges. «Al-Jâhiliya» (époque antéislamique caractérisée par l'ignorance, l'asservissement, le culte des idoles), c'est à cela, écrit récemment un chroniqueur algérois, que beaucoup d'internautes comparent avec ironie sur la toile l'époque Bouteflika.

La messe est dite, rien à rajouter ! Le peuple rend publics ses oracles et défie ses tuteurs patentés ! Cette génération que d'aucuns ont cru à jamais perdue a accompli ce que nulle autre, avant elle, n'aurait pu faire. En effet, la nomenklatura ne s'est laissé tordre le cou par la pression de l'opinion publique que parce que celle-ci a parlé d'une seule voix. La refuser, c'est pratiquement s'enferrer et provoquer son implosion rapide de l'intérieur. Fragilisée à l'extrême, celle-ci appelle maintenant au dialogue alors que, quelques mois seulement auparavant, elle a fermé toutes les voies allant dans ce sens. Elle s'est rendu compte enfin que, dans la vie, plus on attend pour payer son dû, plus la facture s'alourdit. Et qu'un jour ou l'autre, arrivera le moment où on aura beau s'étrangler devant le montant des pénalités de retard, il faudrait tout de même payer ou être saisi. C'est probablement cela que met en lumière l'accélération subite de la machine judiciaire ces derniers jours. Par calcul, ou peut-être par naïveté, le chef d'état-major croit que pousser la justice à agir calmera l'ardeur des Algériens et les dissuadera de battre le pavé. Coup raté ! D'autant qu'il oublie qu'outre l'exigence de l'État de droit, les nôtres demandent des réparations morales conséquentes de tous les préjudices qui ont rabaissé le statut du pays aux yeux du monde, et par ricochet, ridiculisé l'image de l'Algérien lui-même, raillé même dans l'Afrique subsaharienne !

Si ceux d'en haut s'entêtent à oublier tout ce monticule d'humiliations subies collectivement, depuis au moins une décennie, c'est qu'ils n'ont rien compris à l'esprit algérien qui s'attache à sa dignité. L'attitude du pouvoir en place ressemble, à s'y méprendre, à celle de l'élève médiocre qui sèche durant toute l'année ses cours et espère réussir son examen du bac. En gros, nous pouvons dire que le roman du peuple algérien continuera sur sa lancée. C'est une glorieuse épopée qui dit combien est grande encore la force d'attraction d'une nation lorsque ses enfants se tiennent la main pour avancer ensemble, et crachent au bassinet toutes les bactéries, tous les virus, tous les poisons qui puissent infecter leur union. Mille bravos pour l'Algérie !