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Je suis le voleur dans ma maison

par Moncef Wafi

Quel est le point commun entre les migrants subsahariens, Ghardaïa, les sectes et les 701 kg de coke saisis à Oran ? A priori aucun, et même dans l'esprit des adeptes de la théorie du complot, il est peu probable qu'il existe un lien entre ces dossiers à moins que? les clandestins africains introduisent la cocaïne importée du Brésil, de la Colombie ou d'ailleurs, comme dirait Brel, et la distribuent sur les sectes présentes à Ghardaïa.

Difficile de concevoir un tel scénario. Un autre, peut-être, celui des martiens déguisés en Maliens, Ghardaïa étant la porte des étoiles, et la blanche un combustible pour vaisseau spatial.

Et les sectes, me diriez-vous ! Sinon, sinon rien, puisque logiquement aucune interconnexion n'est possible, mais c'est sans compter sur la perspicacité de nos illustres lumières qui éclairent l'avenir de ce pays. Ils ont décrété que le dénominateur commun entre tous les problèmes algériens est cette main étrangère qui nous veut du mal. A les entendre, il y a quelque part, dans le monde, tapie derrière une porte, cachée dans un nuage, jouant à cache-cache avec nos yeux espions, une main qui cherche à nous étrangler. A nous poignarder dans le dos. A nous chatouiller jusqu'à clamser. A nous gifler jusqu'à perdre conscience. Bref, une main méchante qui ne nous aime guère.

La version officielle tend à rejeter toute responsabilité d'incompétence, de mauvaise gestion et d'incapacité à gérer les situations d'exception sur le dos d'une main dont on ignore, jusqu'à maintenant, son origine, sa langue, sa nationalité. Est-elle nue ? Gantée ? Velue ? Lisse ? Celle d'un homme ou d'une femme ? Peut-être d'un gnard ? Qui sait, l'explication officielle ne nous donne pas plus d'indications que celle d'une étrange main étrangère. Un péril extérieur toujours disponible pour expliquer une pénurie de pain, un soulèvement tribal, une revendication ethnique, un projet mal finalisé ou des accusations de corruption. Cette main étrangère qui a bon dos lorsqu'il faut s'expliquer sur les origines du mal profond qui ronge la société algérienne et justifier l'incompétence des institutions étatiques à promouvoir la justice sociale et rétablir l'ordre public. Une tendance à diaboliser toute action citoyenne la renvoyant à des marionnettistes tirant les ficelles depuis l'extérieur.

Pourtant, à la décharge de ceux qui sont censés nous diriger, la main étrangère existe bel et bien. Enfin, pas comme ils l'entendent, mais dans son affection neurologique. Et il est plus juste de parler du syndrome de la main étrangère qui fait agir le membre d'un patient sans qu'il ne puisse le contrôler. Selon les spécialistes, le phénomène, appelé «Alien Hand Syndrome» (syndrome de la main extra-terrestre), s'expliquerait par une malformation cérébrale suite à un choc ou à une opération, donnant lieu à une lésion dans le cortex ou à une déconnexion entre deux hémisphères du cerveau. «La main, souvent la gauche, se met à effectuer des mouvements sans que son propriétaire en ait le moins du monde conscience. Cela peut aller du geste anodin comme le poing qui se ferme et s'ouvre régulièrement jusqu'à un véritable conflit entre les deux mains, se mettant à effectuer des mouvements que son propriétaire ne peut contrôler», affirment les chercheurs. Sur la base de ces explications scientifiques, il ne faut pas aller bien loin pour connaître cette main étrangère si près de nos poches.