Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La loi des Parkingueurs

par Kamal Guerroua

«S'ils ne sont pas chômeurs ou harrags, me dit l'un de mes amis de Bouzaréah (ouest d'Alger), nos jeunes deviennent «parkingueurs»». Pour une oreille étrangère, ce nom peut sonner bizarre mais pour la majorité des miens, c'est un métier comme les autres qui, quoique possédant ses codes spéciaux, est très simple à exercer. Réveil routinier à cinq ou six heures du matin, repérage des lieux (hôpitaux, administrations, tribunaux, etc.) où va se dérouler la quête des sous, division des tâches entre des parkingueurs souvent munis de matraques et parfois de sifflets comme pour arbitrer un match de foot, fixation de tarifs aléatoires qui changent selon la tête du client, consignes à appliquer au cas où un automobiliste, pris par une crise de nerfs, rechigne à payer sa place, règles de diplomatie à respecter si jamais un policier trop gênant et surtout «incorruptible» fait son apparition pour saboter le marché, etc.

Si dans le jargon étatique ou même populaire, on appelle ces parkings de «sauvages», dans l'esprit de beaucoup de «parkingueurs» qui ont bien roulé leur bosse dans ce créneau informel, on ne fait par là que rendre un grand service à la communauté, en évitant les vols et les dégradations des véhicules surveillés. Et là surgit le dilemme entre la consternation des automobilistes qui se voient tout le temps obligés d'ouvrir le porte-monnaie pour donner une pièce, rien que pour un stationnement futile dans n'importe coin de la ville, et la certitude des «parkingueurs» que, sans eux, l'anarchie régnera partout et les voleurs y feront la loi. Mais qui a raison et qui a tort dans cette histoire ? En vérité, personne ! Dans un pays de droit, ce genre de questionnements peut même prêter à rire dans la mesure où ni les uns (les parkingueurs) ni les autres (les automobilistes) ne sont censés apporter des réponses à des problématiques qui relèvent du ressort de l'Etat. Cet Etat-là qui est défaillant en Algérie, hélas ! Quelques évidences : pourquoi paie-t-on, par exemple, les vignettes automobiles ? Pourquoi souscrit-on à l'assurance-automobile ? Pourquoi procède-t-on au contrôle technique des véhicules ? Réponse : pour entretenir les routes, veiller à la sécurité des usagers et leur confort, construire des infrastructures pour faciliter le transport, etc. Or, il semble qu'en Algérie, tout marche à l'envers. Pourquoi ? Parce que la culture de la rente a tout détruit. L'argent du contribuable ne sert à rien tant qu'il y a du pétrole qui coule à flots. Ce qui fait que le parkingueur prend la place du policier et que ce dernier, épuisé par la surcharge de la lutte contre la délinquance, lui cède une partie de ses missions.

Puis, ce parkingueur a lui aussi sa propre logique qu'il résume ainsi : «tant que mon pays ne me donne pas du boulot, il va falloir que j'arrache d'office ma part de la rente». Comment ? En réussissant à extorquer des sous aux autres au nom de la loi du plus fort. Mais laquelle ? Sans doute celle du parkingueur. Bref, on décèle dans ce phénomène comme une lutte symbolique pour le pouvoir sur fond de crise sociale aiguë !