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Le chômage des consciences

par Kamal Guerroua

A force de s'enfoncer dans un quotidien difficile, les rêves des Algériens semblent se dévitaliser, se rétrécir en peau de chagrin et se banaliser autour de l'incertitude et de l'attente. De l'attente d'un miracle, d'une solution extraordinaire à cette crise-monstre, laquelle viendrait, peut-être, d'une quelconque force surnaturelle..., du «bâton magique de Moïse», ironisent même certains ! Cela simplement pour tenir la tête hors de l'eau, pour ne pas se laisser emporter par les flots du pessimisme, pour résister, pour exister, éviter le chaos, la disparition... Beaucoup d'entre ces derniers se contentent alors de s'écrier : «ce gâchis ne peut plus durer ! Il faudra bien un jour faire quelque chose parce que nous allons droit vers la catastrophe !», d'autres, au contraire, regardent le spectacle de la déchéance et de la forfaiture morale de la nation en spectateurs désintéressés, en disant simplement, le cœur las : «il n'y a rien à faire, le pays est irrécupérable, foutu !» Entre ces deux catégories, plaintive pour la première et fataliste pour la seconde, une toute petite minorité combative mais presque invisible dans le panorama social d'aujourd'hui dresse un petit ruban bleu et continue de labourer les vagues de l'espoir dans un climat suffocant de résignation collective. Mais celle-ci a-t-elle encore de la force pour persévérer sur cette voie ? Puis, jusqu'à quand ? Voilà le problème ! D'autant que, de toute évidence, il y a une perte cruelle de confiance de la société en elle-même, en ses potentialités de progresser, en l'avenir, en son destin. Chose qui non seulement la gêne, mais crée en son sein des tensions et des peurs de plus en plus difficiles à maîtriser. Dans le flou général, l'Algérie apparaît alors comme une grande loterie ouverte à toutes les hypothèses ! Une loterie où plus personne ne sait, au juste, sur quoi on va tomber demain. Outre cette incertitude qui sape le moral, tout se passe comme si les consciences se ralentissent, comme si le corps de la patrie s'amortit, comme si l'attentisme, l'assistanat, le désespoir triomphant et l'angoisse ont castré ce qui reste de vital chez les Algériens. Or, si la présence d'une «saine inquiétude» dans la société est parfois justifiable pour avancer, il n'en demeure pas qu'elle soit, dans notre cas, maladive, frisant par moments la paranoïa.

Les nôtres tirent, à ce qu'il paraît, un malin plaisir à voir le mal partout, à rester dans l'inconfort du ressentiment et du râle, à critiquer sans rien faire pour bouger la locomotive en avant. Ce qui rend désormais la tâche de tout changement presque impossible à accomplir. Dommage !