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Ma voiture, mon amour

par Moncef Wafi

Il n'est un secret pour personne que l'Algérien aime sa voiture. Un peu. Beaucoup. A la folie. Plus que ça, il en est amoureux, un rapport presque charnel le relie à son tas de ferraille quels que soient son origine, sa date de naissance et l'état de la mécanique. Plus qu'un second foyer, la bagnole est son amour de jeunesse, sa passion du présent et son capital pour l'avenir. La route est sa chambre à coucher, son terrain de jeu, le lieu où il laisse libre cours à son trop-plein de violence. Sa tire est une belle nana pendue à son bras et gare à celui qui lui manque de respect, qui essaye de la draguer à un rond-point encombrant en klaxonnant ou en lui faisant un clin d'œil avec appel de phares. Il est capable de tuer pour ses beaux yeux au prix d'une éraflure sur ses flancs ou un petit choc par derrière. Du sang pour laver l'affront car toucher à sa tire, c'est lui manquer de respect. Non monsieur, on ne joue pas impunément avec l'honneur. L'Algérien voue une passion presque maladive à son tas de boue, plus parfois qu'à sa propre femme. Il en est accro, un vrai junkie qui ne peut pas se passer de sa dose quotidienne de gaz d'échappement. S'il consent, avec regrets, à dépenser une partie de son salaire sur sa famille, il est prodigue avec celle qu'il considère avec plus de respect que la propre mère de ses enfants. Jamais une dispute ni un mot de trop. Elle ne lui fait pas la gueule et est toujours disponible. Pas comme l'autre qui l'engueule à la moindre erreur et qui lui fait regretter de s'être marié. Non, monsieur, elle est docile comme pas possible, démarre au quart de tour pour peu qu'on la bichonne, qu'on l'entretient et qu'on la cajole et elle vous le rendra au centuple. Un peu de parfum, des bijoux de temps à autre, un hammam, de nouvelles pompes et pas un mot. Aucun reproche et même si parfois on a un coup de cœur pour une autre, elle ne vous fait pas de scène. Rien. Respect total. Alors quand la route devient encombrée, que les embouteillages, une seconde nature, et les barrages, autant de verrues indésirables sur le parchemin de la peau, l'Algérien pète un plomb. Il perd son calme, même si ce n'est pas sa première qualité innée, et se retrouve prisonnier de sa deuxième moitié. Alors son autre moitié, la plus sombre, son côté arrière-cour, ses pulsions les plus assassines prennent le volant et lorsque tu te retrouves avec une centaine de conducteurs, dont le seul but est d'envoyer sur le bas-côté les autres concurrents, alors tu te dis qu'il vaut mieux redevenir piéton ou changer de trottoir ou de pays, c'est selon le degré de vassalité.