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Le «par hasard»

par El Yazid Dib

C'est vrai qu'il peut s'agir d'une coïncidence venue à point nommé. Donc il en sera déduit qu'aucune volonté ou acte prémédité n'en était venu pour parachever l'accomplissement. Mais dans son produit final tout le monde saura que rien et à juste titre n'est fait « au hasard ». Tout se tisse, se trame, se brode et finalement s'argumente.

Ce n'est rien d'autre qu'un simple laisser-faire ou laisser-aller. Parfois il lui faudrait une banale circonstance, un mot, un climat pour qu'il puisse faire éclairer un ciel brumeux ou remplir une poche auparavant nid d'araignée. Il fait aussi des miracles pour ceux qui n'avaient comme rêve qu'une envie d'avoir la possibilité de regarder les maîtres en leur donnant, par artifice, l'illusion qu'ils sont maintenant les vrais maîtres. Ainsi ce hasard sait bien faire de certaines choses une bonté ou une apostasie. Il sait en pleine complexité rendue acceptable faire de certains êtres nés pâles des copies lumineuses et rugissant leur « incontournabilité ».

C'est pourtant simple la trajectoire d'une vie. L'on vient au monde sans identité ni badge professionnel ou électif, seulement avec des indices génétiques, sans fard, seulement avec un cri innocent, sans poste ni emploi, seulement avec l'envie de téter pour mettre son bec à n'importe quel pic, pourvu qu'il produit du jus. De ces fonctions liminaires, certains n'ont retenu que l'irrésistible instinct trop développé de l'allaitement. Adultes, ils pointent, après ciblage approprié, les généreux tétons publics où l'allaitement se livre à domicile ou à distance, parfois avec plus de tonus, plus de personnalisation.

Chacun de nous a dans l'une des cases de sa mémoire fraiche ou archivée un exemple à donner où le hasard, la chance ou la providence ont fait de l'un quelqu'un et d'un autre, un quelconque. Les paramètres n'ont jamais été équitables pour se voir s'appliquer distinctement.

L'on ne saura plus pouvoir appeler les choses bizarres par leur nom. Sinon comment peut-on justifier qu'un ânon arrive à se reproduire dans l'espèce d'un cheval, sachant qu'un poulain est naturellement en cheminement biologique de devenir un jour un étalon ? Qui du hasard ou de l'esbroufe a donné de la notoriété à des gens effacés et ombrageux dans une cité où la seigneurie a foutu le camp ? C'est de cette manière négative à vouloir pondre des personnalités malgré leur mauvais « embryonnage », que l'on arrive à vider toutes les cités de leur substance.

Les fausses réussites semblent durer et même trop durer, en plus pour certaines elles se lèguent en héritage. Paradoxal, mais tenable selon une logique disant que c'est à la fin de tenir lieu de justification de la procédure et du moyen. Machiavélique, mais possible dans un monde où l'angélisme est une inculture tenace. Voir l'un gravir les marches sans effort, l'autre faire du surplace, disons que c'est par hasard que les deux se sont trouvés là où chacun fait des siennes.

Autrement dit le hasard peut être cette usine où se manufacturent les carrières, les fortunes et les bonnes étoiles, ou ce broyeur où se concassent le mérite et la patience.