Il semble
que les Algériens sont incessamment travaillés par deux passions ennemies :
d'un côté, ils sentent le besoin de tout changer, d'un autre, ils ont envie de
ne rien faire pour y parvenir ! Ne pouvant détruire ni l'un ni l'autre de ces
instincts contraires, ils s'efforcent toutefois de les satisfaire tous les deux
à la fois. Puis, se consolent bizarrement d'être en tutelle, songeant qu'ils
ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs, terrible! C'est
ainsi que tous les jours, les nôtres rendent moins utile et plus rare leur
usage de la raison et surtout de «l'action collective», qu'ils renferment aussi
leur volonté dans un espace réduit, lequel dérobe peu à peu à chaque citoyen
jusqu'à l'usage de lui-même. Ce qui éteint graduellement l'esprit de ce dernier
et lui fait perdre «le privilège de l'optimisme». Qu'est-ce en effet qu'avoir
de l'esprit, s'est interrogé un jour le mathématicien Louis De Broglie
(1892-1987), si ce n'est être capable d'établir soudainement des rapprochements
inattendus qui instruisent ou qui amusent? Il se
trouve que l'Algérien a perdu justement cet esprit de curiosité, de découverte,
de prospection de soi et du monde à l'origine de la construction de la
citoyenneté authentique. Or, point d'action sans faculté d'anticipation, sans
imagination vive de l'avenir, sans pensée ouverte sur le possible...les
possibles. Seule la lucidité en résultant nous permettra de juger de
l'efficacité de ce que nous faisons, et partant, de réagir pour ne pas accepter
les injonctions négatives du cours des choses, que d'aucuns d'entre nous
attribuent indifféremment, tapis sous l'épaisseur hypocrite d'une religiosité
superficielle, à El-Mektoub (le destin). De même,
s'il est indéniable que l'invocation de «nous» dans toutes nos démarches et
initiatives pour changer est mobilisatrice, il va falloir orienter aujourd'hui
ce mouvement et lui donner une direction commune. Autrement dit, le changement
doit être inclusif et non pas exclusif, avec des stratégies et des objectifs
bien précis, allant dans le sens de la convergence des luttes citoyennes
(société civile, opposition et forces vives de la nation) pour l'avènement de
la démocratie en Algérie. Sinon tout ce que l'on entreprend ne sera que des
coups d'épées dans l'eau. Il s'agit d'opter, en effet, pour une dynamique d'
«évolution-révolution», pour reprendre le mot du philosophe Jean Jaurès
(1859-1914), afin de donner une puissante motivation et surtout une vraie
identité politique aux masses populaires. Enfin, s'il y a encore beaucoup qui
s'accommodent aisément de ce compromis éphémère entre stabilité et
autoritarisme, la voix du pays profond n'en est pas moins portée pour
l'immobilisme. Nos masses sont en attente pressante de la mobilité, le
mouvement, le changement. En revanche, il n'est point niable qu'un changement
nous paraîtra toujours avoir quelque chose d'incomplet s'il ne doit pas, tôt ou
tard, nous aider à mieux vivre dans la paix, la sérénité, le bonheur, le
progrès...