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La dignité pour les Algériens

par Kamal Guerroua

Le fait que les Algériens vivent dans l'angoisse des prix de produits alimentaires en hausse permanente, dans la hantise du frigo vide, des familles parfois nombreuses à nourrir, d'une précarité grandissante qui les menace d'une exclusion rapide du circuit social, de la stagnation d'une scène politique en agonie apparaît, aujourd'hui, terriblement scandaleux. Puis, il est évident que dans un milieu en survie comme le nôtre, les rêves, s'ils aident à résister à l'apprêté du quotidien, ne peuvent jamais en contrepartie être portés jusqu'à leur plein accomplissement. D'autant qu'en raison de cette machine-laminoir de l'austérité, la pauvreté se propage vite comme de la peste, plongeant malheureusement la majorité des nôtres dans une tourmente où le combat se joue non seulement pour une survie pécuniaire et alimentaire, mais implique leurs efforts constants afin que ne soient pas altérés leur amour-propre et leur dignité, bref, «garder la tête haute», comme on dit communément dans la rue algérienne. Or, il manque justement pour cela l'écoute empathique et libre de jugement de nos responsables à l'égard d'une base sociale en souffrance. De même, ces derniers ne savent pas, semble-t-il, la nécessité de trouver pour les exclus un exutoire à leur dénuement, leur honte d'être «précaires», leurs inquiétudes. C'est pourquoi, il est du devoir de notre élite de dénoncer, par exemple, la méfiance des nos élus envers les couches défavorisées, leur mépris à peine voilé, leur incapacité à comprendre ce qu'est vraiment la vie d'un citoyen ordinaire habitant un quartier populaire de Bab El Oued ou de Bachdjarah à Alger qui se réveille de bon matin, avec la peur de ne pouvoir trouver un sachet de lait pour sa progéniture à acheter, rongé de surcroît par des lendemains qui ne chantent pas du tout. Cela dit, les gens d'en bas perçoivent chaque jour dans le regard des rentiers corrompus la dégradation de leur propre image, et pour avoir pu frôler cette étroite frontière entre l'injustice secrétée par la hogra, l'espoir de s'en sortir et l'appréhension d'une fin lamentable, ils sont sans aucun doute capables de cultiver des remugles de ressentiments et de rejet de cette société inégalitaire dont ils sont prisonniers. Ce qui est à même d'aggraver les fissures de cette dernière et de déliter sa cohésion. Or, cela est d'une anomalie étourdissante quand on sait que nous vivons dans un pays normalement riche, capable de donner à tous ses citoyens des raisons de vivre et d'espérer. Pour en conclure, je dirais tout simplement que l'Algérie a plus que jamais besoin d'un grand chantier de réflexion sur les dynamiques sociales, laquelle permettra de mettre à nu la fragilité de notre réseau communicationnel et de solidarité en ce temps de crise.