Le fait que
les Algériens vivent dans l'angoisse des prix de produits alimentaires en
hausse permanente, dans la hantise du frigo vide, des familles parfois
nombreuses à nourrir, d'une précarité grandissante qui les menace d'une
exclusion rapide du circuit social, de la stagnation d'une scène politique en agonie
apparaît, aujourd'hui, terriblement scandaleux. Puis, il est évident que dans
un milieu en survie comme le nôtre, les rêves, s'ils aident à résister à
l'apprêté du quotidien, ne peuvent jamais en contrepartie être portés jusqu'à
leur plein accomplissement. D'autant qu'en raison de cette machine-laminoir de
l'austérité, la pauvreté se propage vite comme de la peste, plongeant
malheureusement la majorité des nôtres dans une tourmente où le combat se joue
non seulement pour une survie pécuniaire et alimentaire, mais implique leurs
efforts constants afin que ne soient pas altérés leur amour-propre et leur
dignité, bref, «garder la tête haute», comme on dit communément dans la rue
algérienne. Or, il manque justement pour cela l'écoute empathique et libre de jugement
de nos responsables à l'égard d'une base sociale en souffrance. De même, ces
derniers ne savent pas, semble-t-il, la nécessité de trouver pour les exclus un
exutoire à leur dénuement, leur honte d'être «précaires», leurs inquiétudes.
C'est pourquoi, il est du devoir de notre élite de dénoncer, par exemple, la
méfiance des nos élus envers les couches
défavorisées, leur mépris à peine voilé, leur incapacité à comprendre ce qu'est
vraiment la vie d'un citoyen ordinaire habitant un quartier populaire de Bab El Oued ou de Bachdjarah à
Alger qui se réveille de bon matin, avec la peur de ne pouvoir trouver un
sachet de lait pour sa progéniture à acheter, rongé de surcroît par des
lendemains qui ne chantent pas du tout. Cela dit, les gens d'en bas perçoivent
chaque jour dans le regard des rentiers corrompus la dégradation de leur propre
image, et pour avoir pu frôler cette étroite frontière entre l'injustice
secrétée par la hogra, l'espoir de s'en sortir et
l'appréhension d'une fin lamentable, ils sont sans aucun doute capables de
cultiver des remugles de ressentiments et de rejet de cette société
inégalitaire dont ils sont prisonniers. Ce qui est à même d'aggraver les
fissures de cette dernière et de déliter sa cohésion. Or, cela est d'une
anomalie étourdissante quand on sait que nous vivons dans un pays normalement
riche, capable de donner à tous ses citoyens des raisons de vivre et d'espérer.
Pour en conclure, je dirais tout simplement que l'Algérie a plus que jamais
besoin d'un grand chantier de réflexion sur les dynamiques sociales, laquelle
permettra de mettre à nu la fragilité de notre réseau communicationnel et de
solidarité en ce temps de crise.