Il
est clair qu'aucune société au monde n'est parfaite et que toutes comportent
des vices, parfois incompatibles avec les normes universelles, en vigueur. Ces
vices se traduisent, par exemple, par l'injustice sociale, l'insensibilité et
l'indifférence à l'égard des classes pauvres, les tabous, les penchants
anti-démocratiques, etc. Or, si celle-ci, la société s'entend, devrait avoir
une quelconque vocation, c'est d'abord celle de former des citoyens.
C'est-à-dire former, comme le dit bien Paul Harvois
(1919-2000), des êtres libres, responsables et autonomes, informés, capables
d'analyser et de s'exprimer, solitaires et solidaires, préférant l'être à
l'avoir, heureux si possible dans leur couple, dans leur maison, dans leur
cité...» En ce sens, la simple présence d'un tissu social aussi solide que
solidaire peut éviter, aux membres de la communauté, de se désintégrer sous
l'effet des brouillards identitaires ou de se fourvoyer dans des aventures
politiques contre-productives et déstabilisantes. Bref, la société est, en
quelque sorte, un rempart contre l'incertitude des lendemains. Mais est-il
possible d'avoir une société, en bonne forme, quand les élites aux commandes
sont tentées, comme dans notre cas en Algérie, par les démons de
l'autoritarisme et surtout par la démagogie, avec son long cortège de fausses recettes? Pas sûr! Puis, loin de
croire à pareil idéal, notre jeunesse espère, seulement, aujourd'hui, sortir de
cette carapace suffocante de la mauvaise gouvernance pour respirer l'air de la
liberté, exorciser l'humiliation permanente dont elle souffre, depuis des
années, et donner, enfin, un certain éclat à l'auréole ternie du pays, par un
système obsolescent, à l'attitude crispée et à la pesanteur paralysante. Tout
cela pour dire que les revendications d'ordre citoyen, quelques essentielles
qu'elles soient, sont reléguées au second plan, chez nous!
On est en présence d'une crise générale de valeurs d'une société ayant perdu le
nord dans sa quête vaine de la modernité. Une crise de définition des
conceptions fondamentales sur lesquelles devraient s'établir, aussi bien,
l'Etat que les rapports citoyens, régis par ce dernier. Autrement dit, les
valeurs données et reçues par les citoyens, comprendre par
là, que les devoirs et les droits sont mal assimilés. Or, l'expérience
montre qu'il est presque impossible de trouver le moyen d'exterminer le microbe
de la gangrène qui attaque les cellules des cerveaux sans concepts bien définis! En outre, en Algérie, on est en phase de perte
irréversible de lucidité. Si je dis «lucidité», je fais clairement allusion au
«sens de l'histoire». Celui-ci ne permet pas seulement, en effet, de satisfaire
le goût instantané du progrès mais aussi, et c'est là l'essentiel, sentir le
besoin de comprendre et de guider utilement nos actions. En gros, notre société
souffre d'une double carence : le pragmatisme qui est à même de la pousser à
construire le citoyen de demain et la lucidité qui l'insérera dans le train de
l'histoire...