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Sur la corde raide

par Kamal Guerroua

Etonnant comment d'un simple employé dans une petite entreprise publique implantée au fin fond du pays jusqu'au sommet de la pyramide de l'Etat, personne ne se veut responsable de rien chez nous. Comme si l'esprit du temps travaille, sans cesse, à diluer toute culpabilité individuelle dans cette crise protéiforme qui nous accable. Naît alors une sorte de culpabilité collective bien difficile à cerner, comme on le constate de jour en jour, hélas ! Faut-il alors se résigner à cette fuite du langage de la franchise ? Il est certain que, contrairement à l'illusion dangereuse de plus en plus répandue dans notre société de la normalité de «notre cas pathologique», la démission actuelle de nos élites est un échec cuisant devant l'histoire de tous ceux qui, se substituant à la volonté collective, volent pour ainsi dire, au peuple son action libératrice et suscitent chez lui, au lieu d'une conscience combative, la gêne, le dégoût et même une farouche tendance au fatalisme. C'est pourquoi, il faut élever au rang du pari l'affirmation volontaire des réformes profondes qui, sans nos sempiternels accents râleurs, pourrait dicter un nouvel espoir de changement pour notre jeunesse. Mais le problème majeur qui se pose est le suivant : où se ressourcer quand tout est à sec dans quasiment tous les secteurs ? La situation du pays étant malsaine, ordinairement dissimulée par des discours épais en démagogie mais creux quant à l'aspect sémantique et la charge émotionnelle qu'ils véhiculent. De même, les symboles qui constituaient naguère le fonds culturel dynamique du peuple sont vidés de leur substance et, si elle n'y prend pas garde, l'Algérie aura à perdre davantage dans l'avenir suite à cette régression tous azimuts, ce qui reste encore de son capital symbolique, révolutionnaire, culturel ou même «tiersmondiste» fut-il. Sur la corde raide, la nomenklatura fait face avec hésitation, il est vrai, à des réalités inédites dans un contexte spécifique caractérisé par l'instabilité régionale, la chute des cours du pétrole, la maladie du président de la République et surtout une transition politique pas facile à assumer sans crainte de tomber dans le désordre. Or, elle oublie que tout progrès a pour rançon la douleur, la souffrance et le sacrifice. C'est une loi de l'histoire humaine à laquelle tous les Algériens devraient, d'ailleurs, s'y conformer aujourd'hui pour éviter d'être à la marge du concert des nations. En ce sens, affronter les défis nationaux participe de la clairvoyance et de l'audace à l'origine des grands actes fondateurs de l'histoire. D'où l'urgence de décréter un «grand aggiornamento» de notre mode de pensée, nos mentalités, nos comportements, nos actions de tous les jours, en les orientant vers une synergie créatrice d'élans mobilisateurs. Bref, une sorte de redéfinition profonde et scrupuleuse du logiciel de nos valeurs qui dépasse les contours d'un simple tripotage insignifiant de notions et de termes. En clair, notre peuple nécessite et mérite surtout, à présent, des valeurs sûres à même de lui garantir un saut qualitatif dans l'avenir, le progrès, la modernité.