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L'échec n'est pas une fatalité

par Kamal Guerroua

Dans son célèbre roman «La Peste», le philosophe Albert Camus (1913 - 1960) conclut que l'absence de raison d'espérer n'est pas une raison de désespérer. Confronté à la peste qui ravageait Oran dans les années 1940, le docteur Rieux décida, sur une suggestion d'un ami «Jean Tarrou» qui était de passage sur la ville, et cela après avoir constaté que les autorités publiques sont excédées par ce fléau contagieux, de créer des formations sanitaires pour soigner les malades et enterrer les morts. Au grand bonheur des deux hommes, les Oranais, pourtant résignés au départ à leur sort, ne cessaient d'adhérer aux groupes de volontaires qu'ils avaient formés. Ce qui a pu tisser, en peu de temps, les filets d'un large réseau de solidarité citoyenne et humaine, loin des injonctions bureaucratiques d'une administration incapable à se mobiliser pour le bien public. Morale de l'histoire camuséenne : cette peste-là est l'affaire de tous. Autrement dit, les maladies de la cité concernent tout le monde, femmes et hommes, jeunes et vieux, petits et grands, etc. Ainsi, la priorité, dans les moments de crise, est de sauver ce qui peut être sauvé, en nommant clairement les maux, et en répertoriant les insuffisances des uns et des autres, sans se soucier trop des différends idéologiques ou politiques. Si l'on traduit en actes réels ces faits sur l'Algérie, on se rendra bien compte que c'est cet élan citoyen contre les fléaux sociaux ou politiques, libéré des contingences administratives et partisanes, qui fait cruellement défaut ! D'aucuns n'agissent, le plus souvent, chez nous que ce soit dans une association de quartier ou même une structure partisane ou étatique, que pour le profit, les privilèges et les intérêts personnels. L'Algérie est, semble-t-il, embarquée dans une logique opportuniste, favorisée par une décennie de gaspillage rentier, durant laquelle nos officiels n'ont rien demandé en retour aux citoyens, sauf la loyauté aux bureaucrates, l'hypocrisie et le silence sur les abus. Bref, l'arbitraire a tracé une voie on ne peut plus risquée dans notre pays, au point que les citoyens se sentent fragilisés et impuissants à y faire face, enfouissant au plus profond d'eux-mêmes toute intention honnête d'améliorer leur condition de vie. C'est pourquoi, il va falloir inventer cette alchimie salvatrice de «l'individu engagé» qui croit au sacrifice individuel pour l'intérêt général. Une alchimie qui cadre avec l'apprentissage pérenne de l'abécédaire de la citoyenneté. Qu'est qu'être citoyen aujourd'hui dans un pays comme l'Algérie ? Comment revendiquer ses droits ? Y a-t-il des droits sans devoirs et des devoirs sans droits ? Pourquoi s'engager pour la communauté peut-il servir tout le monde ? Quel est l'intérêt du dialogue et de la communication dans la cohésion sociale ? Puis, comment exprimer ses opinions sans bousculer celle des autres ni basculer dans l'impulsivité et la violence ? Enfin, quel est le but de demander des comptes à ses élus, comment et pourquoi le faire ? Tous ces rudiments-là sont, il est vrai, à réinventer et à réexploiter dans cette société, la nôtre, longtemps laissée en jachère politique, de façon à inséminer dans son corps des valeurs nouvelles basées sur l'entraide, la fraternité, la générosité, la solidarité, l'humanisme. Suis-je rêveur ? Non, absolument pas ! D'autant que tout serait possible pourvu que la citoyenneté soit au rendez-vous de nos actions, enracinée dans tous les esprits.