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Les Algériens sont-ils incapables de se mobiliser ?

par Kamal Guerroua

Apparu en 1970 en Inde et aux Etats-Unis, «empowerment» (ce que l'on peut traduire en français par autonomisation des citoyens), est l'un des principes-phares de la culture anglo-saxonne, qui encourage le progrès social. Porté essentiellement, au départ, par des collectifs de femmes, ce principe-là essaie de permettre aux individus d'acquérir un pouvoir autonome et effectif, tout en apprenant à l'utiliser dans le bon sens. Cela va, bien évidemment, au-delà de la simple participation à des échéances électorales, -un processus qui tourne souvent à vide parce qu'il ne tient pas compte des enjeux réels du pouvoir politique-, à la mobilisation, sinon l'articulation du pouvoir à l'échelle individuelle, collective et politique. Comprendre «politisation» rationnelle de l'individu pour le rendre compatible avec la notion de la citoyenneté. Le principe est simple, en effet : il faut «responsabiliser» les citoyens sur leurs droits ainsi que sur leurs devoirs et les faire sortir, le plus tôt possible, de la logique de la «victimisation» à celle de l'action permanente. L'action dans tous les domaines de la vie sociale, bien sûr, dans le but de mettre à profit toutes leurs potentialités individuelles et collectives au sein de la société. Concrètement, il va falloir installer des « tables de quartier» pour donner l'occasion à ces citoyens-là de se réapproprier leur propre espace d'exercice politique. C'est là qu'ils formuleront leurs doléances et leurs propositions pour agir dans leurs quartiers, et pourquoi pas penser, à long terme, aux perspectives du changement démocratique.

Aussi embryonnaires qu'elles puissent paraître à première vue, ces instances-là auront pour mission d'agir, tout au long de leur évolution, à la fois comme partenaires et contre-pouvoir des conseils municipaux, avec le soutien des pouvoirs publics. Ce seront, si l'on ose dire, les lieux d'expression et de mobilisation démocratique par excellence, où la parole citoyenne peut facilement se libérer de façon graduelle, sans débordements de violence, encadrée de surcroît par des chartes de travail en interne. Voilà un modèle citoyen à suivre aujourd'hui en Algérie! Si beaucoup d'entre nous s'interrogent pourquoi tant de nos mairies se trouvent bloquées, juste après la fin des élections pour certaines, pendant des semaines, voire des mois, par des nuées de citoyens en colère, rien que pour contester une décision d'attribution de logements ou de recrutement dans le filet social, ils n'ont qu'à voir du côté de l'absence de ce maillon citoyen, genre tables de quartiers. Seules ces dernières peuvent fédérer toutes les doléances de la base afin qu'elles soient décortiquées, analysées en détail et discutées au sommet. En Inde, pour n'en citer que ce pays émergent, connu pourtant pour ses fortes tensions tribales, les municipalités ont pu gérer convenablement tant de communautés en conflit grâce à un système d'assemblées citoyennes et à un pouvoir associatif efficace. Au Canada, un pays autrement plus en avancé sur les questions liées à la bonne gouvernance et la démocratie, les tables de quartiers sont très développées.

Créées depuis plus d'une vingtaine d'années, celles-ci ont pu garantir peu à peu leur autonomie grâce à un financement diversifié (sponsors, clubs sportifs, médias). Ce qui leur a permis de recruter des coordinateurs et des gestionnaires associatifs locaux pour engager un véritable travail de mobilisation auprès des habitants. Pourquoi pas en Algérie alors? Sachant bien que l'expérience a montré que ce sont les associations caritatives et les comités citoyens des quartiers qui ont le mieux secouru les sinistrés des inondations de Bab El Oued en 2001 et ceux du séisme de Boumerdès en 2003 ! Prenons alors l'initiative de changer les choses par la base d'abord.