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L'alibi

par Moncef Wafi

Pourquoi coudre sa valise sur sa peau et prendre la mer comme on prend un ticket pour un aller sans retour ? On brûle papiers et passé, on hypothèque le présent pour un futur incertain. On joue sa vie sur un coup de tête, de dé et on quitte l'Algérie comme les frères Anglin s'évadant d'Alcatraz. On plonge dans les eaux froides de la Méditerranée, dévoreuse des destins brisés, et on nage contre le pays. On défie le système, celui que des hommes ont instauré, mis en place, en achetant des lois pour les protéger. On regarde en haut, vers les balcons supérieurs et on crache sur la lune. Et comme personne n'échappe au principe de la gravité, on reçoit en réponse son propre glaire, en plein visage et on se jette à la mer pour se laver des pêchés de cette terre. Vers où nager ? Nulle part parce qu'on ne quitte jamais sa mère et qu'on n'oublie pas sa langue, même si on s'appelle hadj Alzheimer. On n'efface pas non plus la couleur de sa peau, tannée par le soleil de la terre de nos pères. Partir, c'est beaucoup de choses, c'est aussi mourir un peu, comme dirait le poème de Edmond Haraucourt, mais c'est, surtout, mourir noyé, lorsqu'on passe de l'anonymat du quotidien à celui d'une tombe sans épitaphe. Quand on pose les pieds, là-bas, ailleurs, sur la terre des autres hommes, on lève les mains vers le ciel et on prie en silence, heureux d'avoir échappé au menu des poissons. Et puis. Rien. On se rend compte qu'on a fui sa propre ombre et qu'elle vous rattrape avant même la police du coin. Et on comprend que la terre des autres hommes ne veut plus de nos histoires, que nos fantômes ambulants ne les intéressent plus parce que même dans la misère, il y a une part de discrimination. Une hiérarchisation des drames et une priorisation des urgences. Nos cadavres n'en sont plus une et vomis par la mer repue, ne sont plus les bienvenus sur leurs plages. Puis, le retour enchaînés aux rêves interdits comme les galériens des temps modernes. Le débarquement, la case justice et les interrogations stupides sur les raisons de cette roulette russe.

Comme si le système ignorait pourquoi on plaque le flingue contre la tempe et on tire en espérant que la balle ne porte pas votre nom. Le système nous donne, alors, des leçons sur le patriotisme, habille la mer d'un hidjab et nous dit que c'est mal de marcher sur le corps de sa mère. Mais la mère ne tue pas ses enfants. Et même si, elle ne les jette pas vivants au fond des océans, le système, lui, écrase de toute son indifférence un peuple soumis qui ne trouve d'alternatives qu'à cultiver des alibis pour excuser sa mort. Et puis. Rien