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Une régate pour mourir

par Moncef Wafi

De mémoire de sardine méditerranéenne, on n'a jamais vu un tel nombre d'embarcations quitter les côtes algériennes que les nuits de ces dernières semaines. Semi-rigide, barque de pêcheurs, navire fantôme, radeau de la méduse, frêle esquif et bateau en papier, tous les moyens pour fuir l'Algérie sont sollicités. Seul, en couple, en groupe ou en famille, on s'entasse sur ces coquilles de l'espoir pour voir si la mer est plus clémente de l'autre côté du rivage. Pourquoi cette inflation de la harga ? Tout comme sa sœur des prix, elle répond à la fameuse loi de l'offre et de la demande. Entre ce qu'offre le gouvernement et ce que demande le petit peuple, il y a une mer de désespoir et des tonnes de malentendus. L'Etat jure qu'il ne reste plus un ?dourou' dans les caisses et les Algériens ne demandent qu'à savoir où sont passés les autres ?dourous'. Pour toute réponse, on promet d'imprimer des billets de banque, de la fausse monnaie pour certains, une planche de salut pour ceux qui ont ruiné le pays. De l'argent pour payer les salaires et les carrières. Pendant ce temps, les garde-côtes sont, actuellement, le corps de sécurité le plus sollicité ces derniers temps. La pêche aux ?harraga' étant miraculeuse, ce sont des centaines d'Algériens, de tous horizons, qui sont débarquées dans les ports. On les ausculte, on les engueule, on les fiche et on les présente devant la justice pour un sermon dominical. Si ce n'est pas la prison en brique, c'est l'isolement mental, l'aliénation sociale qu'on vous prescrit pour vous guérir de votre envie de fuir votre beau pays. On vous fait chanter ?kassaman' mille fois et une fois et on vous oblige à apprendre tous les noms des ministres, avec ou sans double nationalité, qui se sont succédé en Algérie depuis l'avènement de l'indépendance. Pour les autres, ceux qui ont échappé aux filets des garde-côtes, l'Espagne ou l'Italie. Pour le reste, une tombe marine sans épitaphe. Une mort par noyade loin des siens et du deuil.

Terrible, ces moments de solitude devant la mort où chacun nage pour quelques secondes de vie en plus. Seul, au milieu de nulle part, à maudire un pays qui ne fait rien pour vous. Qui fait tout pour vous envoyer en enfer. Pourquoi les Français, les Allemands et les Américains ne chevauchent pas les vagues pour fuir ? Pour quelles raisons les jeunes Algériens doivent-ils, encore, jouer leur peau pour la sauver ? Alors, n'est-elle pas belle la vie en Algérie.