Qu'importe, dorénavant, pour les jeunes de l'Algérie profonde
des réformes politiques qui ne mènent nulle part ? Que leur importe le report
inexpliqué de la tripartite ? La cherté de la vie ? Le programme d'austérité ?
L'inflation ? La dévaluation du dinar ? Le recours à l'endettement intérieur et
l'instauration d'une planche à billets pour se sauver du naufrage imminent,
etc. ? A vrai dire, les Algériens ont compris que tout est devenu «normal» chez
nous à force d'être banalisé par des rentiers qui ne pensent qu'à leurs
ventres. Puis fonçant en plein virage de l'incertitude, ils ont comme pris goût
à être fatalistes. Un sentiment qui n'en finit pas de coloniser ces derniers
temps leur esprit et s'y installer pour une durée indéterminée. Hélas! Passées
les appréhensions du chaos générées par les tornades du «Printemps arabe»,
toutes les initiatives du changement, citoyennes ou partisanes fussent-elles,
se heurtent de nos jours à une muraille de Chine de défaitisme. On dirait que
les nôtres ont «materné» toutes les peurs du monde pour se désespérer et se
procurer un faux-justificatif à ce statu quo morbide ! En effet, la difficulté
réside dans le fait qu'étant «touchés» de plein fouet par les séquelles de la
crise sociale dont se débat le pays, ces derniers ne peuvent plus se projeter
ni penser de façon concrète à l'avenir. Seulement, face à une élite recroquevillée
sur ses fausses certitudes, confinée dans des postures de repli impuissant,
sans repères ni aucun projet de société clair et perdant jour après jour de sa
crédibilité, ils laissent échapper un soupir blasé de lassitude. Et si
d'aucuns, une minorité d'entre eux bien sûr, se disent que l'espoir est
peut-être permis, ils déchantent rapidement dès qu'ils mettent un pied dans une
administration publique ou se confrontent au plus grand parti de la nation :
les défaitistes! Ne parlons pas des corrompus qui
s'octroient indûment des privilèges en toute impunité et de la mentalité figée
de certains des leurs, peu disposés à aller de l'avant. «Mais qu'est-ce qu'un
révolté, Monsieur ?, s'est interrogé le poète René Char (1907-1988) dans l'un
de ses ouvrages, avant de lâcher, péremptoire : «Quand un homme est broyé et
qu'il se tait, c'est un individu normal. S'il proteste et réclame son droit,
c'est un révolutionnaire». Cela semble correspondre presque parfaitement au
profil de l'Algérien d'aujourd'hui. D'autant que la défaite morale de ce
dernier n'est pas due seulement, comme le pensent certains, à ce «Système» qui
l'a forcé à baisser les bras mais aussi à lui-même qui refuse de croire en son
destin et à la société civile qui, absente sur le terrain des luttes démocratiques
et sociales, donne plus qu'un gage à son fatalisme. Ainsi, remarque-t-on, que
«la misère psychologique de la masse», pour reprendre un mot de Freud
(1856-1939) devient comme un syndrome incurable dans la rue algérienne où l'on
ne sent que le vide dans les discussions, le marasme, le «dégoutage»,
la résignation, etc.