Depuis
longtemps réticents au projet indépendantiste kurde, les puissances
occidentales ont commencé à réagir dès l'annonce surprise faite au mois de juin
dernier par Massoud Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan,
d'organiser le 25 septembre prochain un référendum d'indépendance. Ainsi, James
Mattis, le général américain à la Défense, aurait
expliqué, le 22 août, dans l'intention d'écarter bien sûr ce plan-là, que l'objectif des forces alliées est de rester concentrées comme «un rayon laser» sur la défaite de Daech sans que rien d'autre ne puisse les distraire. La
crainte de voir le «oui» l'emporter aurait, sans doute, poussé les Américains,
et après eux les Français, à accentuer leurs pressions pour que ce scrutin soit
reporté. Certes, Washington n'a pas d'opposition de principe à ce qu'une région
qui avait coopéré de façon active avec les Américains dans leur lutte contre Daech et qui s'était fort bien administrée depuis 1991, ne
devienne indépendante, mais il n'en reste pas moins qu'il y mette beaucoup de
réserves. A la fois complexe et sensible, l'existence d'un Etat kurde au
Moyen-Orient a toujours été perçue comme un sujet tabou. Estimés à près de 35
millions aujourd'hui, les Kurdes se voient refuser la naissance de leur État
par la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie. Ces derniers sont même prêts à
faire usage de tous les moyens à leur disposition pour empêcher la tenue d'un
référendum dangereux à leur souveraineté nationale. Historiquement, le malheur
des Kurdes a vu le jour au traité de Sèvres de 1920. Bien que consacré par les
Occidentaux au dépeçage de l'Empire ottoman agonisant au lendemain de la
Première guerre mondiale, celui-ci aurait permis la création d'un Etat kurde
indépendant. Or, l'émergence de Atatürk (1881-1938) et
sa poussée victorieuse ont complètement chamboulé la donne. Trois ans plus
tard, le traité de Lausanne de 1923 aurait définitivement enterré le rêve des
descendants du célèbre Saladin (1138-1193) à la faveur de la nouvelle Turquie
kémaliste. En revanche, la faiblesse relative de l'Irak de Saddam après sa
tentative ratée d'annexer le Koweït en 1990, l'intervention musclée de la
coalition internationale qui s'en était suivie, l'agression anglo-américaine de
mars 2003 et, plus récemment encore, le recul du régime baâthiste
de la Syrie suite aux répercussions du Printemps arabe ont réveillé les
vieilles ambitions kurdes. En Syrie, par exemple, les Kurdes progressistes du
parti de l'Union démocratique (PYD) qui gèrent toute une bande du territoire
longeant la frontière turque de «Rojava» (le
Kurdistan syrien) ont pu s'attirer la sympathie de l'Occident, en combattant
les djihadistes de l'État islamique (E.I) avec l'assistance des Américains. En
revanche, ayant signé, du côté turc, une trêve en 2013 avec le Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) qu'il a rompu en 2015 pour des raisons purement
électoralistes, Erdogan aurait entrepris une
politique répressive à l'égard des Kurdes. Du coup, le territoire kurde en
Syrie a été la cible d'attaques répétées de ses forces militaires, lesquelles
redoutent qu'il ne se transforme en abri permanent pour le PKK. Toutefois, la
résistance kurde, soutenue diplomatiquement par les Américains et les Russes,
les en a bloqués. Stratège, Erdogan aurait alors
tissé depuis de bons liens avec les Kurdes de l'Irak dont les transactions
commerciales passent sur son territoire au moment où le PKK s'est lié, dans
l'Ouest, au mouvement Pjak, qui s'est créé en mars
2014. Il s'avère enfin que, bien qu'opposés aux Turcs dans le dossier syrien,
les Ayatollahs s'accordent avec eux pour rejeter un État aux Kurdes. Ayant
pourtant subi au départ une cuisante défaite contre Daech
juste après la prise de Mossul, ces derniers ont
toutefois repris du poil de la bête lors du siège de Kobané
entre septembre 2014 et juin 2015.