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Les gens de Tunis et de Paris

par Mahdi Boukhalfa

Cette année, les Algériens ont confirmé la tendance du moment, des vacances en Tunisie, qui offre cet avantage extrême d'être «la porte à côté». On peut y aller en voiture, y emmener toute la famille et ses objets personnels. C'est le grand avantage par rapport à l'avion, et, surtout, pas de visa, seulement le document de voyage et un séjour ?'discount'' garanti dans les hôtels huppés, certes désertés par les riches Européens. Ils étaient entre 1,5 et 2 millions d'Algériens qui ont passé leurs vacances d'été chez nos voisins de l'Est, et ils y ont passé de bons moments, d'après des témoignages. Tous les Algériens désormais adeptes de la formule «Tunisie» déclarent qu'ils ont plus de commodités et à moindre prix, les pieds dans l'eau, que s'ils avaient voulu passer leurs vacances au bled. Mais, ce rush populaire devenu une habitude vers la petite Tunisie, avec la fermeture de la frontière terrestre avec le Maroc, fait grincer des dents des bien-pensants, et des défenseurs autoproclamés du patriotisme financier. En fait, les Algériens de la moyenne constatent que les séjours en Tunisie sont de plus en plus mal vus, par presse interposée, par cette catégorie d'Algériens qui pensent que la Tunisie profite des devises durement acquises par l'Algérie, et que ces «allées et venues»une fois l'an de touristes à la petite semaine engraissent les caisses de la Tunisie et appauvrissent celles de l'Algérie. Et c'est ainsi que certains, surtout dans les hautes sphères stratosphériques, ne sont pas loin de penser que la Tunisie profite de cette manne financière qui lui est procurée annuellement par des Algériens bien naïfs.

Et qui serait même à l'origine de la ridicule et squelettique allocation touristique annuelle. «Ce sont des milliards de dollars» qui partent en fumée, ou plutôt vers la Tunisie, pensent ces gens-là, qui voudraient toujours penser à la place des Algériens.  Pour ces gens-là, il faudrait que les Algériens ne sortent pas, et ne gaspillent pas les devises dont le pays a besoin, comme cela avait été claironné durant les années 1990 par un certain ministre de l'Intérieur, pour crier sur tous les toits que cela représentait une perte annuelle de deux milliards de dollars pour l'Algérie. Cependant, ces milieux, officiels et autres flagorneurs, oublient de donner les statistiques des Algériens nés sous de bonnes étoiles, ou des membres de leurs familles, qui, eux, ont non pas un visa touristique mais une carte de séjour, passent à longueur d'années des vacances interminables dans les grands palaces européens, à Paris, Madrid et Londres de préférence, avec toute la smala, et aux frais de l'Etat sous la forme déguisée de missions, voyages d'études, etc.

Et combien sont-ils ces Algériens qui passent leurs vacances en Europe ? Le chiffre serait tout autant intéressant que celui des ménages modestes, qui ont fait de durs sacrifices pour aller passer d'agréables moments dans un pays voisin, qui parle comme eux, et a les mêmes habitudes et les mêmes défauts. Alors, pourquoi donc diaboliser ces gens de la moyenne, ces petites bourses qui ont le droit d'aller dépenser leur maigre pactole en visitant des pays voisins, et passer sous silence tous ceux qui bouffent les devises du pays et vivent aux crochets de l'Etat et qui s'offrent des vacances de Crésus sans qu'ils ne fassent la Une des journaux ?          

Le message de ces gens bien-pensants est que les Algériens «normaux», qui vont au Square Port-Said échanger leurs maigres économies contre quelques centaines d'euros pour acheter des médicaments ou se payer une semaine de vacances en Tunisie, feraient bien de rester chez eux. Triste époque où, après la mort du cinéma, du théâtre, voyager pour les Algériens est mal vu par tous les Big Brothers autoproclamés, qui ont un pied à Alger et l'autre Dieu sait où.