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La mauvaise époque

par Mahdi Boukhalfa

C'est la question en vogue sur les réseaux sociaux : à quoi sert un maire quand sa commune est sale, ses rues inondées d'immondices et ses services de nettoyage inexistants ? La question est ainsi posée cinq jours après la fête de l'Aïd El-Adha où des rues et des avenues de la capitale offrent un spectacle ahurissant, un chaos sans pareil. L'exemple d'Alger peut être répété à l'envi, tant les communes restent encore engourdies par l'effet des deux jours les plus longs de l'année dans la vie d'un Algérien vivant entre quatre murs dans une ville. Le laisser-aller constaté dans les grandes artères des grandes villes du pays, durant ces quatre derniers jours, est en réalité le résultat déprimant de cet état d'abandon caractérisé par les mairies de la notion de service public. Certes, il y a des Assemblées populaires communales qui font bien leur boulot, même très bien, mais l'exception confirme la règle, et à Alger, des scènes de désolation s'offraient aux riverains comme aux visiteurs, comme ces ruelles inondées d'immondices, sales, humides suintant le sang et la fétide odeur d'abattoirs à ciel ouvert. Si les riverains ont une responsabilité dans cette situation pour leur manque de civisme, il y a également la responsabilité partagée des services de nettoyage municipaux, qui se devaient de réagir dans les délais, pour éviter l'accumulation de ces désagréments pendant plusieurs jours.

D'autant que cette terrible et dramatique situation est répétée à longueur d'année, dans ce qui ressemblait à des villes. La saleté des rues et boulevards, des marchés de fruits et légumes croulant sous les détritus et sentant mauvais, des rues pleines de nids-de-poule quand d'autres sont devenues de mini-oueds à cause de ces fuites d'eau non réparées, des immeubles menaçant ruine quand d'autres sont décrépis et ont un besoin urgent d'entretien, c'est un peu cette image de villes d'un autre âge que réfléchit notre pays à un étranger qui n'a jamais mis les pieds en Algérie. Cela vaut pratiquement pour toutes les villes du pays. Sans exception. Car si des quartiers sont ?'présentables'' côté face, comme à Alger entre les rues Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad, côté cour, c'est la grande pagaille, avec des bennes à ordures éventrées, des trottoirs inondés par des eaux fétides, ou des immeubles qui n'ont pas été repeints depuis le départ des colons. Alors, répétons la question : à quoi servent donc ces maires, qui sont élus depuis 1962 ? Qu'ont-ils fait depuis ? Ont-ils rafistolé leurs villes, refait les cinémas, rénové les stades de football, construit des salles de gymnastique, embelli les jardins publics, goudronné les rues et éliminé les nids-de-poule ? Mieux, ont-ils rendu leur propreté aux marchés de fruits et légumes, ces anciens marchés couverts de quartiers de villes comme Annaba, Constantine, Alger, Oran, Blida, Skikda ? La réponse est connue, inutile de la répéter ici, mais ce qui est étrange, il faut le dire, c'est que ces maires sont sponsorisés par des partis politiques, qui revendiquent la paternité de l'Amour du pays, du patriotisme pur et dur, de la défense et de la protection des intérêts du pays, de l'histoire de la révolution.

Ces partis ont tous au moins un élu à la tête d'une APC. Et le constat est vite fait : entre le geste et la parole, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour ces partis, qui se pressent et s'empressent de mettre leurs candidats comme tête de liste dans les élections communales, même en distribuant, par-ci par-là, quelques bonbons, avec force discours envoûtants. Mais sitôt élus, on jette toutes les promesses à la poubelle, et on replonge dans la médiocrité, la malvie et l'inconfort moral de vivre dans une époque factice, irréelle, qui n'est pas celle qu'il devrait y avoir. Hélas !