La lumière est la source de tout ! Si on l'éteint, la coupe
ou réduit de son intensité, l'ombre et la nuit prendront vite le dessus sur la
clarté, et les choses deviendront noires, tristes, floues et ambiguës pour le
commun des mortels. La lumière, c'est en effet la pensée, les idées,
l'espérance, la vie, etc. Un pays quelconque s'apprêterait forcément à rendre
son âme dès qu'il s'en privait. Dès qu'il cessait de regarder la lune et les étoiles! Ô combien c'est beau le soleil de la connaissance !
Mais à quoi bon ce plaidoyer sert-il quand on voit le visage pâle et anémique
de l'Algérie actuelle? Une Algérie qui couvre par les
deux mains jointes ses yeux, par crainte semble-il, d'apercevoir les rayons de
la lumière? Qui refuse de fonder son salut sur le
débat et la confrontation des opinions? Qui règle ses
comptes avec ses intellos par la force, les oukases et la violence?
Rien à espérer de tous ces officiels auxquels la parole fait tant peur, rien! Or, depuis quand une conférence ou un forum littéraire
dérangent-ils la stabilité d'une nation? En quoi un
avis émis par un penseur ou un intellectuel sur un thème d'actualité
constitue-t-il une menace à l'ordre public ? Puis pourquoi a-t-on horreur des
idées et des livres chez nous? « Là où on brûle les
livres, écrit un jour l'Allemand Heinrich Heine ( 1797-1856),
on finit par brûler les hommes !» De toute manière, nos gouvernants ont beau
s'armer de mille et un arguments pour empêcher la manifestation de la culture
dans tous ses états dans nos villes et nos campagnes, leurs tentatives de
coercition populiste par l'absurde sont nulles et non avenues. De même leurs
dérives autoritaires faisant à chaque fois de la parole l'ennemie jurée de la
cohésion et de l'unité nationale, creuseront-elles encore le fossé qui les sépare
du petit peuple. Elles les affaiblissent davantage sur le plan moral, tout en
jetant l'opprobre sur leurs visées réactionnaires. Heureusement que la
manifestation, le 27 juillet dernier, des habitants d'Aokas
à Béjaia, chacun un livre à la main, contre le
musellement de la voix libre, vient apporter la preuve la plus irréfutable que
l'Algérie du progrès et des idées est encore debout, vivante. Qu'elle combat,
sans relâche, l'obscurantisme et le retour aux pratiques obsolètes de l'ère du
parti unique. Qu'elle nous promet bien de belles surprises dans le proche
avenir. Et qu'il y a, par dessus le marché, encore de
l'espoir en un changement pacifique sous les bons auspices d'une élite
avant-gardiste, structurée, généreuse et engagée. Bref, Aokas
nous donne envie de jouir de tant de libertés, du pluralisme et de la
démocratie que l'on se remette vite à rêver. Aokas
symbolise l'éveil des consciences, la résurrection de la citoyenneté, la lutte
pour les idéaux, la sauvegarde du temple républicain de la nation, etc. Que cet
esprit l'ayant animé, en fin de semaine dernière, soit celui de l'Algérie de demain! Une Algérie où tout démarre de l'idée et de la
pensée et non de la force. » J'ai beaucoup plus de peine, dixit dans l'un de
ses discours le poète espagnol Federico Garcia Lorca, pour un homme qui veut
accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu'un
homme qui a faim peut, explique-t-il enthousiaste, calmer facilement sa faim
avec un morceau de pain ou des fruits, mais un homme qui a soif d'apprendre et
n'en a pas les moyens ou en est empêché souffre d'une terrible agonie. Parce
que c'est des livres, des livres, de beaucoup de livres dont il a besoin... et
où sont les livres? La question qui mérite d'être, à
présent, posée pour l'Algérie !