Rien ne
ressemble à l'euphorie qui submerge le cœur, le jour où l'on découvre, les yeux
embués de tant de gouttelettes de larmes, notre nom sur la liste des lauréats
du Baccalauréat ! A l'affût, la veille, des résultats de cette épreuve
fatidique, nos regards de potaches se dirigèrent alors, tôt la matinée, vers
les lycées et les établissements scolaires où ceux-ci devaient être affichés.
Les heures, les minutes et même les secondes sont comptées, dans nos têtes, au
chronomètre près. Puis, clap de la fin! Le mystère est
dévoilé, et de partout, fusèrent des éclats de joie spontanés, des embrassades
chaleureuses entre copains de la même classe, bénis par la chance de la réussite,
les rires et les cris de quelques filles émues par l'exploit du jour, les
appels incessants aux parents pour leur annoncer la bonne nouvelle, les
consolations pour les recalés et autant d'autres souvenirs qui restent, à
jamais, gravés dans la mémoire! Ainsi tout le doute accumulé, pendant des mois
d'attente, se transforme-t-il pour ceux qui ont décroché le valeureux sésame en
une charge excessive de confiance. Délestés d'un lourd fardeau, ceux-ci entrent
dans une ambiance festive et légère, choyés et soutenus par le noyau, élargi
pour la circonstance, de la famille. Maintenant que les révisions forcées ainsi
que le bachotage, jusqu'aux heures les plus tardives du matin, sont loin
derrière, toute leur énergie est à réinvestir, pour penser au remplissage de la
fiche des vœux, les pré-inscriptions, le choix du cursus d'études, la nouvelle
vie à mener sur les bancs des amphithéâtres, l'hébergement, etc. Le Bac est un
nouvel horizon avec ses codes spéciaux et ses rituels!
Sinon cette « clé d'avenir », comme nous le susurraient, encore, aux oreilles,
nos grands parents privés de ce privilège d'être scolarisés, qui donne accès au
marché de l'emploi et à plein d'autres perspectives. Néanmoins, entre le Bac
d'autrefois et celui de nos jours, les choses ne sont pas pareilles du tout.
Les études ne garantissent plus comme avant, par exemple, un travail, un
logement et une stabilité financière pour fonder un foyer et jouir d'une vie
conjugale normale. Le chômage des diplômés est une réalité à prendre très au
sérieux, en Algérie. En témoignent, au demeurant, les embarcations de fortune
arrêtées, ces derniers temps, par les gardes-côtes des deux rives de la
Méditerranée, lesquelles ne comportent pas, à ce que l'on sait tous, que des
décrochés du système éducatif mais aussi des jeunes instruits et compétents.
Bouillonnant de désespoir, comme d'une rage de revanche sur cette société, la
nôtre, qui leur a tourné, dédaigneusement, le dos, ces malchanceux mettent
toute « une carrière » d'études couronnée, parfois, de diplômes supérieurs à un
stade très avancé (master et doctorat) mais, hélas, « sans importance » entre parenthèses! Ils grillent toutes les normes, quitte à
devenir des ?harraga' ou des sans-papiers en Europe, afin de se frayer un
passage vers ce qu'ils considèrent comme leur escale de dernière chance.
Pourquoi se sont-ils efforcés, des années durant, alors à réussir au Bac? Pourquoi tant de nuits sans sommeil?
Pourquoi tous ces efforts consentis à la fac?
Pourquoi... et pourquoi? La réponse va de soi : c'est
le seul tremplin qui permet, chez nous, de partir ailleurs, fuir les rentiers,
obtenir un visa et emprunter, la mort dans l'âme, le chemin semé d'embûches de
l'exil. Pris en étau, nos jeunes acceptent, touchés par cette détresse du
mal-vivre leur présent et d'envisager leur futur, le moindre mal de partir.
«Vivons, peut-être, sans bonheur à l'étranger mais bien loin des médisances et
du mépris des nôtres!», se disent la plupart d'entre
eux, en leur for intérieur, pour donner un peu de crédit à leur aventure. Correcteur
lors de cet examen, perçu du reste comme le plus crédible, en Algérie, malgré
l'avatar de fraude massive de l'année passée, un prof s'est même étonné, en
découvrant des marques de dépit et de malaise de beaucoup d'élèves - candidats
inscrites, à la marge de leurs feuilles : « un cas rare qui mérite une étude
sociologique approfondie de notre société! », reconnaît-il, inquiet!