Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les chiens ne font pas des chats

par Abdelhak Benelhadj

Un effort important a été fourni par Marine Le Pen et son équipe pour donner de sa personnalité, de son style, de sa politique et de ses projets une image qui devait rompre avec ceux de son père. C'était la condition pour faire sortir le parti de son isolation et conférer à sa représentante une chance d'accéder à la plus haute des fonctions.

Pour cela elle est allée très loin jusqu'à effacer de ses affiches le nom et le symbole de son parti et même son nom, ne laissant que son prénom. «Bleu Marine» incarne désormais le signe de ralliement à son mouvement que tous disaient résolu à se détacher complètement et irréversiblement de tout ce qu'a représenté le «vieux» parti d'un Jean-Marie exproprié de son œuvre. Le bruit disait la fille et le père irrémédiablement inconciliables.[1]

Rétrospectivement, ceux qui auraient conseillé à Macron de suivre l'exemple de J. Chirac en 2002 de ne pas débattre avec une représentante du Front National, auraient eu raison, au vu de l'allure qu'a pris le débat du 03 mai entre Mme Le Pen et lui.

«Chassez le naturel, il revient au galop» : Marine Le Pen est bel est bien la digne héritière de son père. La fille partage avec le père un sens aiguisé de la manipulation de l'information, des images, des formules choc et quelquefois des injures ou insultes à l'adresse de leurs ennemis politiques.

Un débat pour rien

Ainsi, lors du débat télévisé de mercredi soir, la candidate du Front National à l'élection présidentielle, alors qu'aucune information ne fondait une telle hypothèse, n'a pas hésité à lancer à son adversaire d'En Marche ! : «J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas.» C'était à la fois cavalier et indélicat en semblable circonstance et encourir le risque de tomber sous le coup d'une plainte pour diffamation. Ce que E. Macron fait dès le lendemain auprès du parquet de Paris.

Aussitôt, rapporte une dépêche AFP, des comptes Twitter réputés proches des militants pro-Donald Trump ou liés à la Russie diffusaient des messages prétendant pointer vers des documents accusant l'ex-ministre de l'Economie d'«évasion fiscale».

«?Toutes les suites judiciaires requises seront données à cette manoeuvre et sont d'ores et déjà diligentées», avait déclaré en tout début de matinée le conseiller en communication d'Emmanuel Macron, Sylvain Fort.

L'observateur se perd en conjectures :

- Soit Marine Le Pen a perdu son sang froid, n'a pas maîtrisé la conduite de ses interventions. Après tout, ce tête-à-tête à la hauteur d'une finale pour l'Elysée, c'est une première pour elle. Beaucoup y auraient laissé leur contenance, révélant ainsi un profil péniblement contenu?

- Soit c'est de tactique délibérée pour tenter de déstabiliser son vis-à-vis et consolider son icône de combattante celte auprès du noyau inoxydable de son électorat qui goûte peu les échanges à fleurets mouchetés en usage dans les milieux cossus que représente l'ancien banquier Macron.

C'est sans doute une piqûre de rappel salutaire.

Mais alors on peut se demander si elle est opportune et pertinente, dans l'intérêt du Front National qui n'a pas besoin de réassurance auprès d'un corps de supporters dont la fidélité est la plus solide de tous les électorats.

De plus, si la vraie bataille n'est plus (à supposer qu'elle l'ait été) la conquête de l'Elysée, mais celle du Palais Bourbon et de Matignon où Marine Le Pen espère réunir l'opposition la plus nombreuse et la plus résolue autour de son nom, on peut s'interroger sur l'efficacité d'une telle posture.

Pour atteindre un tel objectif, l'urgence serait d'élargir son audience et non de la concentrer en radicalisant ses thèses et en musclant ses traits, revenant à des méthodes avec lesquelles elle prétendait avoir pris distance. Et dans ce cas l'espace à conquérir se situe autour des citoyens qui ont apporté leurs suffrages à droite à F. Fillon et à gauche à Mélenchon.

Ce n'est sûrement pas en adoptant le biais qui fut le sien lors du débat de mercredi qu'elle pourrait espérer rallier à elle ces électeurs et suffire à faire consensus contre E. Macron.

Le ralliement-surprise de Dupont-Aignan a-t-il contribué à ce changement de tactique ?

La question demeure ouverte. Les jours et les semaines à venir permettront de comprendre les raisons de la candidate du Front National et les résultats de son attitude.

Naturellement, si l'on perd souvent de son propre fait, on ne gagne pas toujours du fait de ses adversaires. Les difficultés éventuelles de Mme Le Pen ne constituent pas une caution et une garantie à moyen et long terme du futur locataire de l'Elysée qui devra faire la démonstration de l'«efficacité» (mot qu'il a souvent à la bouche) de ses choix.

NB : «Les chiens ne font pas des chats» est, selon un sondage commandé par l'hebdomadaire Le Point (publié en mars 2014 et réalisé par Mediaprism du 23 au 29 janvier), l'aphorisme favori des Français (pour 32% d'entre eux).

De nombreuses autres expressions portent le même message : «Tel père tel fils», «bon chien chasse de race», «bon sang ne saurait mentir» «la pomme ne tombe jamais loin du pommier»? Toutes glorifient l'hérédité, l'identité, les racines, la proximité génétique? Elles parlent de chiens et de chats, mais c'est bien d'hommes dont il est question, de leurs relations, de leurs interférences, de leur commune humanité (ou non).

N'oublions pas que la notion de «race» est d'abord une affaire d'éleveurs de chevaux et de chiens.

Que Marine Le Pen accède ou non à l'Elysée, cela au fond n'a pas grande importance. La France est travaillée par les déséquilibres économiques et sociaux structurels qui minent sa cohésion sociale et menacent sa stabilité. Si ces maux ne sont pas convenablement et prestement traités, il serait vain de croire qu'un banquier sympathique puisse endiguer une violence potentielle immense pour l'instant contenue, qui déferlerait sur le continent.

[1] Lire A. Benelhadj : «LE PEN CONTRE LE PEN. Parricide au cœur du Front National». Le Quotidien d'Oran, J. 27 août 2015