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Ce soleil qui ne meurt jamais !

par Kamal Guerroua

Ne comprendrait les roses écloses du printemps, ses brises parfumées, les couleurs succulentes de l'arc-en-ciel et les chuchotements cadencés des roseaux sous la lune qu'un poète bien inspiré. Un poète est un être à part dans ce monde confus du commun des mortels. Car, il sait comment prendre du recul pour profiter de l'immédiateté de l'instant, noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer, observer avec volupté chaque empan de cette nature qui l'entoure, mélanger sa sensibilité polymorphe et quasi féminine avec la chasteté de l'azur, danser dans son esprit sous le rythme de la mélodie monotone du silence.

Puis descendre tranquillement le long du fleuve éphémère de l'existence, muni d'un sac de plaintes mélancoliques, couronnées de pétales de joie?, d'amour. Sans pédanterie ni inflation de mots aucune. Juste comme ces fameuses odes andalouses jouées au luth à Cordoue du IXème siècle par un barde virtuose nommé Ziryab ou les quatrains du persan Omar Khayyâm tressés subtilement dans la chevelure du temps avec une fluidité émotionnelle, certes lucide, mais presque muette. Patiente. Lente. Mesurée. Sobre.

Des odes qui boudent en étoiles insolentes la pluie et le mauvais temps. Perturbent les nuages et leur armada de brume à la moue grincheuse. Narguent la lune. Défient le soleil, les astres, la nature, les hommes?le monde.

On dirait un de ces éclats de beauté d'une femme berbère au regard du feu. «Kûm tara barâhim al-laoûz, tanbathiq'an kulli djiha, wa n'nasîm saqqat-hâ ala l-hawz wa nada kabbab aliha» (viens voir l'amandier répandre ses pétales, comme une pluie d'argent tout autour de nous. Elles tombent dans l'enclos sous l'air du zéphyr et la rosée les couvre de ses gouttes matinales) chantait avec douceur Lili Boniche pour célébrer ces retrouvailles entre le poète et le printemps, le défi?la vie.

Mais un poète peut-il vraiment mourir ? Succomber à l'appel de la finitude ? Vieillir dans la perte de sa mémoire, l'oubli, le déni de la réalité ? Non ! D'autant que sa quête de la pureté prend toujours des tournures agressives à même d'écraser les crocs du temps. «Ana al-hak» (je suis la vérité) eut osé déclarer à la cour de Bagdad Mansur al-Haladj (857-922) !

Un poète qui, enivré par son amour divin à la fois poétique et mystique, est allé même jusqu'à sauter les barrières de la croyance. Ainsi en est-il, souvent, de toute belle âme qui s'emploie à chercher des perles transparentes dans un débris d'ambiguïtés. Un débarras hideux, miteux, encombré. Un poète n'est-il pas un éternel incompris ? Un révolté permanent qui se bat contre ces gros nuages qui voilent l'horizon, soufflant sur les braises des musiques qui se caressent dans la discrétion, des parfums qui auréolent les îles de son imaginaire, des creux sombres effleurés par les sons d'orgue d'un soleil fou.

Ah, qu'il est beau ce soleil dont ont rêvé Jean Sénac, Kateb Yacine, Jean Amrouche, Djamel Amrani et tant d'autres ! Ce soleil qui brûle l'épiderme de la conscience et s'enfonce, intrépide, dans les tripes. Ce soleil qui saigne de toutes ses forces et par tous ses rayons, toutes ses veines, l'amour de l'Algérie. Un soleil franc et sans fioritures. Ardent. Opiniâtre, têtu et rempli de tendresse. D'une limpidité clairvoyante qui exaspère les abîmes et interroge l'infini. Un soleil qui ne meurt jamais ! Jamais !