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Dans un Alger qui s'ennuie, Ouyahia «travaille»

par Kamel Daoud

Daech tue le monde, au bout du monde. Ici, on tue le temps. Très difficile de parler de l'actualité algérienne quand le régime n'est pas là, dort, est malade ou ne fait rien. L'énigme algérienne persiste mais elle devient peu photogénique : que se passera-t-il après Bouteflika ? Ou, plutôt, «comment cela va se passer ?». C'est un peu le topo des discussions en soirée, chancelleries, entre étrangers ou élites molles nationales. On s'interroge sur les variantes possibles : transition ? Hamrouche ? Sellal ? Le Frère Bouteflika ? L'inconnu ? Puis on spécule, avec de petites cuillères, rien n'étant certain. Du coup, Alger est lassante sous son soleil : il lui manque les fourberies épiques de ses Décideurs aujourd'hui morts, vieillis, mis à l'écart ou désintéressés. Même le chef d'Etat-major de l'armée algérienne n'a plus cette capacité de fasciner les commentaires et de faire naitre des feuilles sur son passage dans les conversations et faire grésiller les capteurs. On regrette presque la jeunesse tonitruante du cabinet noir, de Larbi et Nezzar. Rien aujourd'hui. On se meurt de tourner. Du Daech mental.

Dans le tas, un homme cependant. Ou plutôt ils sont deux. Ambitieux, discrets, tenaces dans le désert, soumis, obéissants mais vigilants quant au trébuchement du bœuf : le Kadhafi algérien, alias Belkhadem. Surnom donné à Alger au bonhomme à cause de sa manie de planter deux tentes dans une plage de l'extrême-ouest algérien. Malgré toute une vie à attendre, il attend encore. On lui marche dessus, il ne meurt pas. On l'écarte, il se replie puis se déplie à la prochaine saison. On le dit mort, il continue. Son ambition d'être Président n'a jamais faibli, est tenace, perdure et résiste à l'eau, à Saidani, aux moqueries et aux félonies de ses employeurs. Connu pour être sans os, il est sans fractures.

Le second, c'est Ouyahia. Lui aussi ne faiblit jamais dans son ambition de devenir père du peuple. Aujourd'hui, réinstallé comme planton par Bouteflika, il se confectionne une smala, recrute des adhésions et des soutiens et se prépare. Comme depuis toujours. Les fameuses consultations pour la future Constitution lui ont permis de distribuer des clins d'oeil et des sourires à des gens qui peuvent lui être utiles. Il n'a pas oublié l'obscur désir de sa vie depuis qu'il est en vie. Obéissant, il sait aussi attendre, suggérer mais aussi travailler l'eau, la friche, le feu et les éléments. Le bonhomme, d'après la chronique du sérail, mène une véritable guerre contre les autres concurrents et contre l'actuel équipe du gouvernement. La raison ? Les faire tomber et devenir encore plus nécessaire plus incontournable et plus fort. Ouyahia se rêve Président mais ne s'attaque pas au Président. Juste aux possibles successeurs. Intelligente stratégie de déboisement. Cela se fait discrètement mais avec constance : le bonhomme sait que le régime est en crise de personnel et il se propose, mais avec la finesse qu'on lui connaît. Habile. Il est aujourd'hui à la tête d'un véritable gouvernement de l'ombre.

Mis à part ? Rien. Alger est ennuyeuse. On n'a même plus un régime ou un pouvoir. Juste de l'intendance. Une voiture qui roule mal et qui est conduite par plusieurs personnes à la fois.