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Le jugement avant la plaidoirie

par Bouchan Hadj-Chikh.

La règle d'or, en football est, qu'en cas de fin de championnat désastreux, ce soit l'entraîneur qui paie en démissionnant. Jamais le président du club ? ou rarement -. Lors des grandes messes de ce sport de masse, sans jeu de mots, il s'en est même trouvé qui ne sont pas rentrés au pays, en même temps que leur équipe. Le commandant de bord avait choisi sa propre chaloupe pour le conduire vers d'autres rivages, tandis que son équipe s'était entassée dans la dernière esquisse mise à leur disposition, à la suite du naufrage.

Comme nous ne faisons jamais rien, comme tout le monde ? et je me répète, encore une fois ? le coach de l'équipe algérienne sait déjà, avant même le début des rencontres de la Coupe du monde, qu'il ne sera pas reconduit dans ses fonctions. Mais il s'est obstiné, tout de même, à faire son travail, la hargne au coeur, conduisant son staff au franchissement de la ligne de la qualification pour les huitièmes de finale. Comme un vrai responsable, un professionnel, un amoureux du travail bien fait jusqu'à son terme.

La Fédération a-t-elle désigné son successeur ? Et ce successeur serait-il sur les lieux ? L'on apprend que si. Mais invisible à l'œil nu.

Alors, demain, ou le plus tard possible, nous allons nous trouver devant une situation paradoxale, digne de nous : un sélectionneur - qui aura composé la meilleure formation possible pour honorer le pays et la conduire au-delà de ce qui était espéré - se trouvera remercié. Vous ne trouvez pas cela curieux ? Que nous poussons le bouchon un peu trop loin ? Quid de l'expérience accumulée par cet homme, durant trois ans ? Du staff qui a appris à travailler avec lui en dépit, prétendent certains, de son caractère ? Et des joueurs qui l'avaient entre les yeux, dès qu'ils touchaient le ballon ? Et des milliers de jeunes gens qui poussaient le ballon rond en pensant attirer son attention ? Rien. Application stricte d'une quatrième strophe, entrée dans l'histoire et qui a fait l'histoire : « du passé faisons table rase ».

Cette seconde personne du pluriel, je vous l'avoue, me gène. J'écris pour dire qu'elle ne m'incluse pas. Et je ne dois pas être seul. Cet homme a créé, tout au long de son sacerdoce, en dépit des interférences multiples, dans son travail, les conditions pour que l'équipe algérienne soit fêtée à Gaza, en Tunisie, en Egypte, au Maroc, à travers tout le continent, sur les Champs Elysées de Paris, en Europe, partout, là où un Algérien se trouvait, un Arabe était esseulé, un Africain isolé, dans sa banlieue.

En passant en revue toutes les manifestations de joie, il nous revient à dire que cette équipe n'appartient plus à l'Algérie seule. Elle est maghrébine, arabe, africaine, comme on le souligne dans tous les blogs, dans tous les échanges, et le sélectionneur est le représentant de tout ce monde là, missionné pour lui redonner du plaisir, des émotions et, quelques fois, des moments de fierté, faute de la trouver dans des réalisations sociales et économiques.

Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant son départ. Son curriculum vitae et sa vie de sportif rendraient jaloux beaucoup de meneurs d'hommes, dans ce sport. Ce qui m'inquiète plutôt, et que je crains, par dessus tout, c'est un Wahid qui ne nous donnera même pas la chance de revoir le jugement prononcé afin que son départ soit reporté, sine die, en portant sa signature au bas d'un nouveau contrat. Car dans tout jugement, quand la sentence est prononcée, aucune cour de cassation ne fera oublier à l'accusé, au public, qu'il y avait des raisons de condamner le prévenu. Et cette raison est la suivante : l'incompétence des dirigeants. Un succès, paradoxalement, qui devra les conduire à se démettre.

Et que ceux qui l'ont honni n'écrivent plus un seul mot sur lui.