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Du Bouazizi au «Bouabdelazizi» algérien

par Kamel Daoud

En gros, le plus gros des Algériens ont peur. Ils refusent le mouvement, le changement, le glissement. A la télé cela va mal chez les voisins. Tellement que les Algériens préfèrent vivre le monde selon l'ENTV : un Bouteflika pugnace guide le peuple assis sur deux roues, donne des logements et le peuple le remercie. C'est mieux qu'El Jazeera, se dit-on. Un film ennuyeux et parfois mieux qu'un film-catastrophe. Et en gros, le régime l'a bien compris : les Algériens ne veulent pas de révolution, de changement, de coup de feu, de mort et ne veulent pas faire du bruit. Juste des émeutes mais sans dominos. Dès que l'émeutier est écouté ou engraissé, il se tait. En jeu de mot cela donne des Bouabdelazizi. Un mélange entre Bouazizi (le Tunisien qui s'est immolé et a chassé Bénali) et Abdelaziz, prénom de l'un des Bouteflika. Une figure hybride, à deux têtes mais avec une seule grande bouche : un Algérien moyen qui déteste désormais la révolution mais qui aime l'émeute, qui insulte le régime mais vote pour lui, qui annonce que le Pouvoir est voleur et que donc on peut le voler et qui est nationaliste mais veut quitter le pays. Les Bouabdelazizi sont de plus en plus nombreux, domestiqués par l'art du régime de jouer sur le complexe du père, le lien filial, la fraternité post-maquisarde et la culpabilité de tous face au corps malade et vieux du Père du peuple.

Engraissés et rendus méfiant à cause de la théorie du complot, les Bouabdelazizi sont aujourd'hui le gros du peuple, en gros. Bien encadrés, avec un ou deux bons discours, un matraquage de l'ENTV et quelques unes manipulées d'Echourouk, ils seront la grande armée qui votera pour Bouteflika et qui le pousse déjà à penser à son quatrième mandat. On a beau s'agiter dans nos bocaux ou avec nos éclairages en faisceau sur le drame à venir, le régime est persuadé aujourd'hui qu'il peut, qu'il va continuer sous la forme du dernier avatar : Bouteflika. Les deux, lui et sont peuple, sont vieux (malgré les apparences et les pourcentages), sont assis, roulent côte à côte, les deux sont bigots et les deux sont contents de l'immobilité comme signe de l'éternité. Et c'est quand on regarde ou suit l'actualité alimentaire des Bouabdelazizi, que l'on comprend que le 4ème mandat est là, sous une forme ou une autre, comme une conséquence : le peuple qui n'existe pas, y insiste sans le savoir, demande à ce que rien ne change, que tout continue : ANSEJ, RADP et AVC en cycle.

Le Bouabdelazizi le veut. Qui est-il encore une fois ? Une création post 2011, après la révolution en Tunisie : un être obèse, geignard, dopé par l'ANSEJ, oisif, rêveur, véhiculé à cause des agences de location de voiture oisives, soucieux de ses cheveux, frustré, conservateur mais libidineux, violent mais servile à la fois, tordu, incapable mais rusé et manipulable. Le Bouabdelazizi, ne veut pas que Benali prenne l'avion. Il veut un avion pour jouer. S'il s'immole, ce n'est pas par rage, c'est pour qu'on le soigne vite et qu'on lui donne un chèque et un local qu'il va louer. Le quatrième mandat est là. C'est la conséquence du slogan algérien national : « pas dégage, mais partage ! ». Cri des Bouabdelazizi.