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Bulletin de santé de Sellal

par Kamel Daoud

Un jour, un wali aujourd'hui décédé a raconté au chroniqueur que Sellal, l'actuel Premier ministre, lui avait proposé de travailler avec lui. C'était il y a une décennie, à l'époque où Sellal commençait à grimper les échelles. Le défunt consulta alors son vieux père qui lui dit ceci : la plante qui croît à l'ombre d'une autre plus grande aura toujours l'air pâle et sera chétive et fragile. Le wali se décida alors à rester wali. Jusqu'à sa mort. Aujourd'hui donc Sellal agit. Ses décisions ont ce bénéfice d'être concrètes, directes et allant dans le sens du mieux. Le loisir par exemple redevient une préoccupation alors qu'il se limitait aux folklores saisonniers de la « Culture nationale » puritaine (Ettakafa El Wataniya), martyrophile, ennuyante et destinée au parti unique et pas au peuple multiple. Sellal en parle et pousse. On a compris, enfin, le lien entre l'ennui, le terrorisme, la frustration, la harga et l'émeute. Le Premier ministre essaye un peu de refonder un consensus national manquant depuis toujours. De soutenir le « privé » sans ostentation pour ne pas heurter les propriétaires du pays et la doctrine égalitariste de Benbella (nous allons faire fondre la graisse des riches). De pousser la stalinienne administration algérienne à céder un peu de ses droits de propriété sur le pays et à communiquer, c'est-à-dire à considérer l'Algérien comme digne d'une conversation et pas seulement passible de la colonisation. Sellal pousse aussi le pays à reconquérir la nuit, perdue durant les années de la guerre et qu'on n'a pas encore repris au vide et aux cratères sur nos terres. On reproche au bonhomme ses blagues intempestives qui ne cadrent pas avec le portrait que l'on se fait de l'Autorité (grave, discrète, colérique et distante) mais il essaye.

Sauf que, comme dit il y a un temps, Sellal essaye de faire bouger un pays dans un F1. Pour sa vision d'un pays normal, il appelle les walis. Corps d'Etat désigné, qui n'est pas né de la volonté des urnes, qui dispose de pouvoirs exorbitants permettant la prédation ou le développement. Sellal essaye aussi avec des ministres qui ne dépendent pas de lui et qui ne sont pas nommés et choisis par lui. Avec en face des sources d'autorités qui peuvent le bloquer, le contourner ou même le laisser en bocal. Des walis mal formés à l'économie, à la rentabilité et à la notion de démocratie ou de performance, une administration sous formée, lourde, jalouse de sa suprématie néo-coloniale, corrompue ; une haute administration paralysée par les scandales et les enquêtes et un environnement politique de « familles » de la légitimité qui veillent au grain et au baril.

Ceci pour le bas de l'échelle. Et pour « le haut » ? Là, il y a le téléphone de Saïd. L'homme que la rumeur affuble des pouvoirs mythiques du Général Medienne et qui remplace dans l'inconscient collectif l'image du ténébreux puissant capable de mettre un homme en prison rien qu'en bipant un juge. Sellal gère donc, dans un bocal, un pays entier, avec en dessus le frère et en bas les parpaings et les 40 voleurs. Saïd est-il aussi puissant ? On le dit parce que son frère est malade et le pays est mort. Le prénom fait figure de couronne dans les salons. Est-ce vrai ? On ne sait pas. Ou presque pas. Cela ouvre droit à l'autre question : comment un homme peut-il gouverner un pays par téléphone ? D'où vient le Pouvoir ? Et là, il y a des réponses classiques : le Pouvoir vient du lien de sang, de l'armée, des dossiers, des clients et des corruptions. C'est un peu vrai, mais la vraie vérité est celle qui vaut pour tout Pouvoir dans tous les pays du monde : Le Pouvoir vient de la faiblesse du vis-à-vis.

Sellal prend donc de la stature mais à l'ombre d'un arbre plus grand. C'est pourquoi il a l'air parfois si fatigué. Car il manque de soleil.