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Le sourire pour les Occidentaux, la grimace pour nous

par Kamel Daoud

Souriant de toutes les dents, visage éclairé, poitrine ouverte, main tendue et l'œil brillant de joie, respirant la santé et la jovialité. C'est lui. Lui quand il reçoit un président étranger, un étranger, un ambassadeur, n'importe qui, sauf un Algérien. L'autre versant : visage fermé, las, sourcils froncés, teint pâle, en colère, le ton dur, le verbe cassant et la réplique parfois insultante avec un bras signifiant «vous voulez me mangez à la fin ?» ou «allez-vous-en loin !». C'est toujours Lui, lors des meetings, lors des votes, lors des apparitions télévisées, sous la caméra ou en clôture d'une visite de «travail et d'inspection». Pourquoi : les premiers lui rappellent sa jeunesse. Les seconds lui rappellent sa vieillesse. Les premiers c'est la belle époque des avions, non-alignement, ONU, diplomatie, rencontres, négociations, prise d'otages, Carlos et Cuba, le Che et la gloire. Les seconds lui rappellent la bousculade pour les logements, les questions gênantes, la servilité alimentaire, les échecs, l'indigénat et la trahison.

Du coup, les autres font comme lui, en descendant l'échelle des pouvoirs et des avoirs. Notre consœur Ghania Oukazi raconte, lors de son voyage cette semaine à In Aménas, comment on traitait avec soin les journalistes étrangers et comment on supportait à peine les locaux. Les journalistes étrangers représentant le Monde, l'Occident, les vrais électeurs, les puissances, les clients qui payent bien. Les journalistes locaux représentant les Algériens, le peuple, les millions qu'on ne peut pas convertir en euros. D'ailleurs, même les hommes de Belmokhtar, lors de la prise d'otages, ont traité les Algériens comme des riens : ils les ont libérés parce qu'ils n'ont pas de valeur marchande, non convertibles en devises et à peine intéressants pour les médias de leur pays qui ne pouvait pas les filmer. Et cela va ainsi un peu partout : les hommes de Lui font comme lui. On reconduit le complexe de l'indigénat au nom de la guerre de libération ou au nom de l'indépendance vis-à-vis du peuple. L'homme blanc est parti, mais certains ne l'ont pas quitté du regard.

D'où le sujet du jour : la Dignité. Ou son contraire. On s'en soucie lorsqu'on a honte d'un regard ou des idées des gens autour. Belkhadem a été destitué mais il veut revenir. Avec la preuve d'une immense capacité à l'indignité : le peuple d'Aflou ou d'ailleurs pense qu'il n'a même pas d'honneur dans ses gigotements de dictateur qui ne veut pas quitter son palais ! Il s'en f? le peuple n'existe pas. Il se serait comporté autrement si le FLN était composé de Gaullistes. Là il aurait eu un grand discours charmeur et aurait imité De Gaulle. Belkhadem est sans dignité parce que nous sommes sans valeur. Quand on a un pagne, on n'a pas honte devant des gens nus, dit son proverbe préféré. Le bonhomme sortira du FLN comme Moubarak ou Kadhafi : sous le crachat ou le lynchage.

Et pour revenir à l'autre, à Lui ? Le pays sera heureux dans le monde inverse : quand Lui ou celui qui sera à son poste accueillera les Algériens avec le sourire et Cameroun avec la grimace. C'est pourtant nous qui avions applaudi l'armée à In Aménas et c'est pourtant Cameroun qui a critiqué. Alors pourquoi on est chassé d'une main levée et l'autre est accueilli comme un ami ? Parce que c'est «Arabe» selon le proverbe : un «Arabe» se souvient du coup de bâton reçu, pas du repas partagé avec lui.